Beethoven redécouvert aux Bouffes-du-Nord
2020, Beethoven, Jos van Immersel, Bouffes-du-Nord, voici le quarté gagnant sur lequel il était facile de parier. Le compositeur vedette de l’année interprété par l’un des plus grands pianofortistes de sa génération a-t-il réussi à faire oublier le couvre-feu ? Réponse…
Bien avant de collectionner les réussites à l’Opéra Comique, son directeur Olivier Mantei œuvrait déjà à la destinée d’une des salles les plus incroyables de la ville de Paris, le Théâtre des Bouffes-du-Nord. Avec Olivier Poubelle et Jean-François Dubos, il fédère en 2013 cinq théâtres et salles de concerts et crée La Belle Saison pour -comme le dit le site internet- favoriser l’accès à des programmes musicaux exigeants et dynamiser les territoires investis avec des artistes qui s’engagent auprès des publics au-delà des concerts. Ce sont aujourd’hui dix-sept lieux partenaires qui accueillent les événements comme ce lundi 26 octobre 2020, la venue de Jos Van Immerseel dans l’époustouflant décor brut du Théâtre des Bouffes-du-Nord. Un horaire avancé à 18h30 aura peut-être empêché une partie du public d’apprécier les sonates de Beethoven. Le compositeur qui devait être pleinement célébré en 2020, à l’occasion des 250 ans de sa naissance, reste un choix éclairé pour mettre en valeur les sonorités particulières du pianoforte.
Toutes les nuances de pianoforte
En résidence permanente au Concertgebouw de Bruges avec son ensemble Anima Eterna, Jos Van Immerseel est un artiste rare et exigeant, sans doute l’un des meilleurs pianofortistes de sa génération. En s’adressant au public à mi-concert, il a présenté son instrument avec passion et une pointe d’humour en soulignant que le pianoforte n’est pas, comme on l’imagine habituellement, l’ancêtre du piano moderne mais un instrument à part entière. Beethoven, très attaché à la manufacture de Vienne, a composé les sonates au programme du concert pour un Hammerklavier comme on le nommait à l’époque en Autriche. Trop fragiles, la plupart des pianofortes restent maintenant dans les musées. Jos Van Immerseel joue sur un facsimilé construit par Christopher Clarke en 1988 qu’il balade depuis à travers le monde. Les indications données par Beethoven sollicitent une technique différente avec un toucher et des modes de jeu que l’on ne retrouve pas sur un piano moderne. Au passage, l’artiste pédagogue d’un soir épingle avec malice les éditions récentes de partitions où les notes du Maître (incompréhensibles pour les pianistes d’aujourd’hui) sont tout simplement présentées comme des erreurs !
De la théorie à la pratique
En choisissant d’interpréter d’abord les sonates Nos. 9 et 10, Jos Van Immerseel convoque le Beethoven de jeunesse avant de jouer les sonates Nos. 8 et 14, chefs-d’œuvre plus connus sous leur titre de « Pathétique » et « Clair de lune ». Sous la vaste cloche du Théâtre des Bouffes-du-Nord, le pianoforte est orienté de trois-quarts de façon à privilégier l’acoustique. Les amateurs de mains devront se concentrer uniquement sur le son, Jos Van Immerseel n’étant pas un de ces pianistes à gestes. Avec les 9 et 10, le souvenir de Haydn et de Mozart n’est pas loin mais ce sont bien les sonorités qui happent l’auditeur ou plutôt, la variété de sonorités. Les cordes frappées du pianoforte qui n’empêchent ni les nuances, ni les couleurs, semblent à mi-chemin entre le clavecin et le piano. L’instrument de Christopher Clarke est admirablement chantant. Il nous permet d’entendre la Pathétique et surtout la Clair de lune de façon différente et renouvelée. L’adagio cantabile de la sonate No. 8, investi, et surtout l’Adagio sostenuto épuré de la Clair de lune offrent des moments d’émotion intense. Hélas, le pianoforte écrase l’élan de virtuosité tant attendu dans le Presto agitato final qui, joué non sans faute, paraît ici curieusement besogneux. Péché véniel pour cet artiste qui, à 74 ans, a encore tant de musiques à partager comme en témoigne ce beau concert. A noter qu’un récent CD paru chez Alpha permet de poursuivre l’écoute.