Samson mais avec voix (et surtout orchestre) ressuscité à Comique
Les échos favorables du Festival d’Aix n’ont fait qu’augmenter l’impatience de retrouver Raphaël Pichon à l’Opéra-Comique dans Rameau. Et pourtant, Samson est un opéra totalement inédit, et pour cause, il n’a jamais été créé ! Explication…
Depuis le Festival d’Aix de cet été 2024, les mélomanes savent que Voltaire a offert à Rameau un livret d’opéra sur Samson, personnage biblique chevelu également connu pour être le héros du chef-d’œuvre de Saint-Saëns. Hélas, le texte a été censuré, la partition perdue et l’opéra n’a jamais vu le jour ! Le goût de Raphaël Pichon pour les reconstitutions et les pasticcios s’est souvent exprimé sur la scène de l’Opéra-Comique où le chef a connu bien des succès avec notamment Miranda, ouvrage réalisé à partir d’airs de Purcell et Un Autre voyage, autour des opéras de Schubert. Après la création mondiale à Aix de ce Samson de Rameau réinventé (le 4 juillet 2024), la production de Claus Guth vient tout naturellement à l’affiche de la Salle Favart pour une poignée de représentations. Ce soir de deuxième, le 19 mars 2025, sur une scène plus ramassée qu’à l’Archevêché d’Aix, le spectacle avec une distribution renouvelée a impressionné.
Le Livre des Juges pris au pied de la lettre, à un cheveu près !
Il est facile de comprendre ce qui a poussé Raphaël Pichon et Claus Guth à se pencher sur la possible résurrection du Samson de Rameau et de Voltaire. La recherche musicologique, comme un jeu de piste, a permis au grand chef ramiste d’élaborer une partition patchwork (on sait que le compositeur a réutilisé la musique de Samson pour ses ouvrages postérieurs). L’élaboration d’un spectacle total réunissant théâtre, opéra et danse est l’évident moteur du metteur en scène. Guth construit sa production en suivant l’instruction de Voltaire qui souhaitait révolutionner l’opéra en « éveillant chez le spectateur une pensée critique, non plus simplement divertir, et faire de la puissance expressive de Rameau son bras armé » et surtout « montrer que les Ecritures sont des fables » (comme nous l’apprend le programme de salle). En effet, il est surprenant de découvrir le héros biblique non plus comme la pauvre victime de la duplicité de Dalila mais comme un personnage complexe, visiblement tiraillé par la violence de ses pulsions. Le récit déconstruit (sont évoquées également l’enfance et la conception miraculeuse) est raconté par la mère de Samson (la célèbre actrice Andrea Ferréol, bouleversante) et appuyé par des extraits du Livre des Juges qui défilent sur un bandeau déroulant où la cruauté du texte biblique est ainsi mise en évidence. Autre surprise, le livret raconte deux histoires, celle bien connue de Dalila mais également le premier mariage de Samson avec la philistine Timna qui ne sera visiblement jamais consommé. Avec les moyens vocaux adéquats, Jarrett Ott impressionne aussi physiquement dans le rôle de Samson notamment lors des scènes de combat chorégraphiées au ralenti sur des effets stroboscopiques. Les bons danseurs de Sommer Ulrickson s’intègrent à l’ensemble sans jamais casser l’intrigue.
Samson, mon choeur s’ouvre à tes voix
Dans un décor d’appartement ravagé par une explosion, la guerre que se livre philistins et israélites produit des images puissantes de Capulet et Montaigu dans d’élégants costumes noirs et blancs (signés Ursula Kudrna) bientôt tachés de sang. Guth offre des scènes fortes même aux rôles plus secondaires. Remarquable, le ténor Laurence Kilsby, au timbre définitivement enchanteur, n’a que deux airs déchirants qu’il incarne véritablement. La magnifique soprano Camille Chopin (artiste de la première promotion de l’Académie de l’Opéra-Comique et talent à suivre de très près) est un ange suspendu dans les airs, même si son air « Clair flambeau du monde » manque un soupçon de légèreté. Son ascension vers le plafond délabré répond à la chute acrobatique de Samson, tournoyant autour de son harnais dans les airs. Dans le rôle de sa tentatrice, Ana Maria Labin, évidente tragédienne, traduit la sensualité et l’ambiguïté de son personnage dans sa tenue corporelle à la fois noble et bestiale. Vocalement, on peut préférer une voix plus éthérée dans « tristes apprêts » ou moins charpentée dans « Viens hymen », superbes airs qui lui sont alloués, en reconnaissant le parfait engagement théâtral. Timna, l’amoureuse tourmentée, offre à Julie Roset un rôle complexe qui convient sans doute mieux à un type de voix plus sombre (la mezzo Léa Desandre est la créatrice du rôle à Aix). Il n’empêche que la soprano convainc facilement avec ce timbre riche et une ligne vocale élégante. En revanche, celle du baryton Mirco Palazzi (Achisch), plus hachée, heurte trop souvent. Il est la seule déception d’une distribution homogène où l’on remarque brièvement Richard Pittsinger et René Ramos Premier. Voltaire qui souhaitait la puissance expressive de Rameau aurait été emballé par la direction de Raphaël Pichon. Même si les scotchs qui tiennent la partition réinventée sont parfois visibles, l’ensemble Pygmalion est tout simplement magique. Le chœur ouvre son large éventail de nuances tandis que l’orchestre, toujours alerte, joue dans un dialogue permanent avec les voix. Raphaël Pichon, habitué des lieux, sublime l’acoustique de Comique. Après ce spectacle puissant et marquant, une nouvelle réussite Salle Favart, nous attendons son retour avec impatience.