Le Kissinger Sommer entre prestige et cure
Alléchés par des affiches fabuleuses, les mélomanes connaissent depuis toujours le Kissinger Sommer sans pour autant avoir séjourné dans la charmante ville thermale. Il a suffi d’une invitation pour pouvoir plonger dans des eaux délicieuses. Explications…
En été, le mélomane voyageur a toutes les raisons du monde de se rendre en Allemagne, terre musicale fertile avec une offre exceptionnelle de festivals de musique classique. La charmante ville thermale de Bad Kissingen accueille depuis 1986, le Kissinger Sommer, manifestation parmi les plus prestigieuses d’Europe. Cecilia Bartoli et Lang Lang y avaient leurs habitudes et c’est aujourd’hui une génération renouvelée de grands artistes qui vient prendre les eaux et surtout les applaudissements d’un public fin connaisseur et très chaleureux. Du 17 juin au 17 juillet, les grands noms de Lise Davidsen, Isabelle Faust, Julia Fischer, Janine Jansen, de Rudolf Buchbinder, Nikolai Lugansky, András Schiff ou encore Daniil Trifonov ont fait l’attrait des affiches de la saison 2022.
De l'eau, des airs, la vie…
A moins d’avoir un transport privé, se rendre à Bad Kissingen situé entre Francfort et Nuremberg n’est pas chose aisée. La Bavière possède pourtant un réseau ferré important mais il vous faudra changer plusieurs fois de train pour arriver à destination (sans vous tromper de wagon et en prenant en compte les probables défaillances techniques !). La ville possède un vaste parc hôtelier pour les touristes et les curistes germanophones. Dotée d’un riche patrimoine culturel et de quelques bâtiments de belle facture, Bad Kissingen se visite principalement en Allemand, les QR codes des panneaux d’information renvoyant à un site internet non traduit. Malgré cet inconvénient, il est impossible de ne pas tomber sous le charme de la station thermale inscrite depuis 2021 par l'UNESCO sur la liste du patrimoine mondial des Grandes villes d'eaux d'Europe où l’on trouve également Baden-Baden, Karlovy Vary, Marienbad, Montecatini ou encore Vichy. Flâner dans le Rosengarten, le long de la rivière Saale ou boire les eaux médicinales à la source vous font marcher sur les traces des illustres visiteurs d’autrefois comme l’Impératrice Sissi, Louis II de Bavière, Bismarck ou encore Gioacchino Rossini et Richard Strauss.
Tout l’été à 1160 et plus !
Outre une charmante Altes Rathaus du XVIème siècle, l’imposante Wandelhalle qui renferme la salle des Sources (la Brunnenhalle), le bâtiment iconique de Bad Kissingen reste le Regentenbau, superbe salle de concert de 1160 places. Au bout d’une volée d’arcades du XIXème siècle, l’édifice néo-baroque conçu par Max Littmann entre 1911 et 1913 complète le quartier thermal. En intégrant l’ancienne Conversationssaal (aujourd’hui la Rossini-Saal) et l’Arkadenbau à l’ensemble, l'architecte a offert une belle homogénéité à ce monument remarquable. Le Wiener Symphoniker a élu domicile à Bad Kissingen pour sa saison d’été jusqu'en 1918 avant de céder la place au Münchner Symphoniker. La vie musicale a repris timidement après la guerre pour s’imposer définitivement en 1986 avec la naissance du Kissinger Sommer. La décision de sa création a été motivée par un aspect plutôt pragmatique. L’été étant la basse saison des cures, les salles de concert restaient tristement silencieuses et il fallait les remplir. Une autre volonté plus politique était de maintenir le lien entre les deux Allemagnes. Sous l’impulsion de Kari Kahl-Wolfsjäger, la première directrice artistique, le Festival a pris tout de suite son essor international avec des orchestres venus de l’autre côté du mur, Hongrie, Pologne, Union soviétique, Tchécoslovaquie et toujours des phalanges est-allemandes, le langage commun de la musique rapprochant les artistes. Après la réunification, le Kissinger Sommer a naturellement trouvé une place centrale parmi les Festivals européens en réunissant chaque année, le Gotha de la scène musicale internationale.
L’excellence d’Alexander le III
Succédant à Kari Kahl-Wolfsjäger qui est restée en place 30 ans et à Tilman Schlömp, Alexander Steinbeis est seulement le troisième directeur artistique du Festival. 2022 est sa première saison avec des marqueurs d’excellence toujours bien présents comme le prouvent les exceptionnels concerts de Daniil Trifonov du 16 juillet 2022 et de Krzysztof Urbański le lendemain (les comptes-rendus du concert de Daniil Trifonov et celui de Krzysztof Urbański sont à retrouver sur le site). Lors de notre séjour, il nous a été permis d’apprécier l’acoustique de la grande Max-Littmann-Saal mais également de la Rossini-Saal, plus intime. Le 16 juillet 2022, la violoniste star Julia Fischer s’était entourée d’un quatuor de grands artistes (Alexander Sitkovetsky, Nils Mönkemeyer, Friedrich Thiele et William Youn) pour interpréter des œuvres de Dvořák, Schnittke, Schubert et Schumann. Les aléas des chemins de fer nous ayant empêché d’assister à la première partie du concert, seuls le Notturno de Schubert et le Quintette pour piano et cordes op. 44 de Schumann ont été entendus. La superbe Rossini-Saal avantageant l’âpreté des cordes plutôt que leur soyeux, le mordant des attaques a donné de la personnalité à une interprétation d’une belle élégance. Alexander Sitkovetsky, Friedrich Thiele et William Youn forment un trio d’artistes assurément en phase qui vivent intensément les notes de Schubert. Le Quintette op. 44 de Schumann laisse entendre une même complicité entre tous les artistes réunis. Même s’il semble injuste de détacher Julia Fischer de l’ensemble, il faut avouer que la jeune femme ramasse quelques étincelles de lumière en plus grâce à un jeu où la perfection côtoie l’évidence. Dans la salle, un silence très appréciable se fait entre chaque mouvement, le deuxième installant en quelques phrases une atmosphère romantique réellement envoûtante. En recherchant trop l’effet, l’altiste Nils Mönkemeyer casse parfois l’harmonie du groupe, nous rappelant que la simplicité est certainement l’artifice le plus difficile à maîtriser. Malgré tout, le concert proposé par des musiciens au sommet de leur art est à la hauteur des exigences attendues à Bad Kissingen, un très beau moment de musique partagée.
Le festivalier non germanophone a eu beaucoup plus de mal à apprécier le spectacle du 17 juillet donné en matinée dans le Kurtheater. Le très beau théâtre, tout de vert décoré, accueillait le Schumann Quartett mais également la comédienne Martina Gedeck venue lire des extraits du livre du Dr. Hans Walther « Bär und Clara und Robert Schumann, Roman einer Liebe » et de « Schumanns Schatten » de Peter Härtling. Les lectures entrecoupées de brefs morceaux de musique (extraits de quatuors de Schumann et Mendelssohn mais pas de Clara Schumann qui n’a rien composé pour cette formation) s’adressaient, on l’aura compris, à un public habitué à la langue de Goethe. Le premier violon peu engagé n’a pas su donner de l’ampleur au superbe Intermezzo du Quatuor No. 2 de Mendelssohn qui manquait de beauté. Les musiciens se sont tout de même illustrés dans le Quatuor No. 3 de Brahms, joué in extenso mais la magie de la veille si extraordinaire n’a pas opéré de la même façon. Pendant plus d’un mois, des concerts sont proposées tous les jours et certains gratuits, en plein air. Les mélomanes savent que sur leur carte des Festivals d’été, Bad Kissingen est une étape obligée.