Cheffe, hautbois et diva à la Philharmonie de Paris
Les Bastille n’ont pas toutes été prises. En 2020, la place d’une cheffe à la tête d’un orchestre peut encore être un sujet. Sous les coups de baguette de la nouvelle Maestra, les derniers vestiges finissent de s’effriter. Compte-rendu...
Année chaotique s’il en est, 2020 restera marquée par les annulations, les fermetures et les rendez-vous désespérément manqués. Comme un rayon de soleil au milieu de la tempête, un concert de l’Orchestre de Paris a pu se tenir le 2 novembre 2020 à la Philharmonie de Paris, malgré la complète fermeture des théâtres en France. Programmé à la hâte début octobre, l’événement a revêtu une importance toute particulière car il a permis à Rebecca Tong, la lauréate du premier Concours International de cheffes d’orchestre La Maestra, de faire ses « vrais » débuts à la tête du fameux ensemble français. Déjà avec le soutien de l’Orchestre de Paris, la compétition de cheffes, d’abord programmée en mars 2020, a pu profiter d’une parenthèse enchantée avant reconfinement. Le 18 septembre 2020, les membres du jury présidés par Ewa Bogusz-Moore (directrice de l’Orchestre Symphonique National de la Radio Polonaise à Katowice) ont donc distingué ce jeune talent venu d’Indonésie parmi 220 concurrentes. Malgré quelques avancées, la réalité reste consternante car sur 778 orchestres professionnels symphoniques permanents recensés dans le monde en 2019, seuls 48 ont à leur tête une directrice musicale ou une cheffe principale (soit seulement 6,2%) !
Mozart aussi gros que Mahler
Le but du Concours Maestra étant de mettre en lumière les espoirs féminins, quelques critiques privilégiés ont eu la chance d’apprécier le travail de Rebecca Tong dans des circonstances particulière. Dans le grand vaisseau de la Philharmonie vidé de son public, les membres de l’Orchestre de Paris (tous masqués à l’exception des vents) ont joué à bonne distance les uns des autres, dans le parfait respect des mesures sanitaires. Pour profiter de l’espace nécessaire, les fauteuils du parterre ont été enlevés permettant aux caméras d’occuper le lieu (le concert était retransmis en direct sur le site de la Philharmonie de Paris). L’acoustique s’en trouve sensiblement modifiée notamment avec Mozart. Dans le Concerto pour hautbois K. 314, l’orchestre pourtant réduit à la bonne échelle d’une petite quarantaine de musiciens est particulièrement sonore. La direction élégante de Rebecca Tong se montre très attentive à mettre en valeur le soliste, situé dans son dos. Droit et tendrement mozartien, Alexandre Gattet, hautbois solo de l’Orchestre de Paris se retrouve ainsi face à ses collègues, dans une configuration tout à fait « concerto » !
La grande diva et la nouvelle maestra
A la même place, Sabine Devieilhe semble au contraire se fondre entièrement dans l’orchestre, son chant divin enrobant les pupitres dans la Symphonie No. 4 de Mahler. Moment rare et incomparable, la soprano illumine le Lied du dernier mouvement Sehr behaglich avec des aigus filés cristallins et un sens du théâtre qui flirte avec l’évidence. Nous aurions aimé retrouver la même grâce dans la battue de la cheffe parfois un brin prosaïque. Rebecca Tong est assurément un talent en devenir qui empoigne les partitions avec sérieux et conviction. Parfaitement à l’aise avec Mozart, elle préfère dans Mahler, la cohésion des pupitres quitte à écraser l’ensemble aux dépens des contrastes, pourtant brillamment suggérés par le violon délicieusement hongrois de Roland Daugareil. Dans cette mise en place inédite, l’Orchestre de Paris fait preuve d’un professionnalisme remarquable même si, sans son public, il semble lui manquer un petit supplément d’âme. En attendant le retour à la vie normale, le concert, idéal pour faire connaissance avec Rebecca Tong, reste disponible en ligne sur le site de la Philharmonie jusqu’en mai 2021. Espérons revoir rapidement la cheffe, dans une grande salle Pierre Boulez bondée, pour applaudir comme il se doit, la nouvelle Maestra.