A Waiblingen, la découverte de trésors par Melanie Diener et Thomas Hampson
Certains mélomanes ont tôt fait de critiquer les chanteurs sans toujours connaître l’énorme travail effectué en amont des représentations. A Waiblingen, lors de masterclasses ouvertes au public, Melanie Diener et Thomas Hampson ont fait le point. Reportage…
Située à quelques kilomètres de Stuttgart, Waiblingen est une charmante ville très romantique qui se transforme, l’espace d’une semaine, en capitale internationale de chant lyrique. Du 15 au 21 septembre 2024, se sont déroulés les Waiblingen International Opera Workshop (les ateliers lyriques internationaux de Waiblingen) sous la houlette de deux grandes stars, la soprano allemande Melanie Diener et le baryton américain Thomas Hampson. Douze élèves judicieusement choisis se sont succédés sur la scène d’une superbe salle de spectacle boisée, le Bürgerzentrum, pour recevoir un enseignement magistral. La municipalité de Waiblingen a eu l’excellente idée d’ouvrir les portes de ces cours « privés » au public. Etonné, amusé et toujours captivé, il a suivi assidu les séances de travail pour voir éclore sur scène les talents de demain avant un concert final de restitution. L’expérience passionnante est assez rare car le mélomane n’a pas souvent accès à la cuisine surtout lorsque des secrets de fabrication sont dévoilés. Chacun leur tour, Diener et Hampson ont livré une part d’eux-mêmes lors de ces enthousiasmantes rencontres.
Des partitions sur les pupitres et du travail sur la planche
La Ghibellinensaal du Bürgerzentrum peut accueillir un peu plus de 900 personnes. Ce matin du 17 septembre 2024, en plein milieu de semaine, elle n’affiche pas complet mais les spectateurs sont suffisamment nombreux pour former un public visiblement captivé, la qualité de l’écoute prouvant leur intérêt. Accueillis par des ouvreuses attentionnées, nous pénétrons sans bruit dans la salle car la séance a déjà débuté. La jeune soprano Antonia Schuchardt entonne les dernières notes de « Ach, ich fühl's », célèbre air de Pamina dans Die Zauberflöte de Mozart. Sous les applaudissements fournis, elle rejoint quelques-uns de ses petits camarades assis dans la salle et laisse sa place sur scène à Clemens Seewald. Le jeune baryton autrichien a choisi l’air de Belcore « Come Paride vezzoso », extrait de L' Elisir d'amore de Donizetti qu’il chante in extenso avant de se tourner vers Melanie Diener. Sur la scène, outre le piano et quelques pupitres, un miroir psyché et une grande table encombrée de partitions et de bouteilles d’eau ne laissent aucun doute, nous sommes bien au travail dans un atelier où la matière première est la voix ! La soprano native de Weibligen commence par lui poser de nombreuses questions sur sa conception du rôle. Le chanteur reprend son air et sans l’interrompre, Melanie Diener l’invite à valser en marquant les temps. Cette situation inattendue ne le déstabilise en rien et lui fait même gagner en naturel. Débarrassé d’une certaine raideur, il reprend plus léger mais il est de nouveau interrompu pour d’autres réglages. La phrase « son galante… » manquant d’emphase, la professeure insiste sur la prononciation des consonantes et le mordant des voyelles, un appui essentiel en italien.
Melanie Diener, experte en chat et en cochon !
Chaque élève dispose d’une demi-heure pour améliorer son air. « Nous sommes tous différents » dit Mlle Diener. Anna Matrenina, mezzo russe, ne recevra pas le même enseignement que ses autres camarades. Dans la bonne humeur, le travail se fera sur le son et la projection. Pour expliquer comment faire sortir la voix, la professeure utilise des borborygmes hilarants comme des grognements de cochon. Elle place la jeune chanteuse devant le miroir et grimace derrière en imitant le feulement d’un chat pour faire comprendre le placement des muscles du visage. D’autres exercices pratiques sont proposés avec un rappel anatomique sur les points d’appui. « Il convient d’activer les muscles du pubis pour libérer le diaphragme » rappelle la pédagogue en corrigeant la position du menton. Dans la salle, le public réalise à quel point la technique vocale concerne tout le corps de l’artiste. Alors qu’il est facile d’imaginer un violoniste accorder son Stradivarius, en suivant ces cours, on réalise que les chanteurs sont des instruments de musique qui doivent régler chaque muscle, chaque position, le moindre souffle… sans oublier de jouer la comédie ! Avec Giulio Putrino, l’exercice devient encore plus intéressant. Le jeune ténor de 24 ans, toujours étudiant au conservatoire, semble prêt à embrasser la carrière mais, comme il nous l’a confié, il reste prudent. Après son air (« Ed ancor la tremenda porta », Roberto Devereux de Donizetti), le conseil que lui donne Melanie Diener est de chanter avec émotion. « Laisse toujours l’impression que tu peux en faire encore plus ! ». Remarquant ses épaules tendues, elle se place derrière lui et se concentre sur son cou. « C’est ta technique et je ne veux pas la perturber mais si tu te redresses, en avançant ta tête comme tu le fais, tu risques de fragiliser ta gorge… » Et en effet, la correction de quelques centimètres d’une posture permet au ténor de sortir un son plus souple, plus agréable pour le public et pour lui, comme il nous le confiera ensuite.
Plutôt une poire ou un poing dans la bouche d’un chanteur ?
Giulio Putrino a déjà suivi les masterclasses de Thomas Hampson qui lui a proposé de continuer l’enseignement au Waiblingen International Opera Workshop. Lorsqu’on lui demande s’il y a une différence d’enseignement entre Melanie Diener et le baryton, le jeune ténor répond qu’ils ont la même approche mais qu’ils expliquent les choses différemment. Pour faire comprendre l’ouverture, quand l’un parle de poire dans la bouche, l’autre évoque le poing. Des cent-cinquante postulants, les douze artistes choisis qui viennent d’Allemagne, d’Autriche, d’Espagne, de France, d’Iran, d’Italie, de Russie ou de Suisse ont un parcours différents même s’ils se situent tous à peu près dans la même tranche d’âge. Alors qu’il cherche toujours des opportunités pour s’améliorer comme il le dit lui-même, Mikhail Timoshenko, par exemple, est déjà lancé dans une belle carrière tandis que d’autres sont encore étudiants. Un partenariat avec l’association Opera for Peace, qui fait un travail remarqué pour les jeunes artistes, a permis de repérer deux chanteurs quand d’autres ont simplement envoyé une vidéo avant d’être sélectionnés après audition. Le mercredi, c’est au tour de Thomas Hampson le magnifique d’occuper la grande salle tandis que Melanie Diener continue son enseignement dans la Welfensaal, plus petite, où seuls les élèves sont invités. Nous avons pu nous glisser pour constater que le travail était le même dans une acoustique un peu plus sèche. La très belle basse Juliusz Loranzi qui chante Masetto est invitée à donner son texte brut, puis comme au théâtre à le jouer avec émotion. Il le reprendra sur le rythme de la musique avant de chanter pleinement en gardant la rage contenue du personnage. Il est fascinant de voir l’évolution souvent impressionnante, en si peu de temps.
Thomas Hampson tire les cheveux et fait rire à gorge déployée
Thomas Hampson insiste peut-être un peu plus sur la caractérisation des personnages. Didactique, il s’adresse également au public pour apporter quelques précisions sur les rôles comme celui de Billy Budd qu’il connaît très bien. Dans ces moments, la masterclasse devient une leçon précieuse, un cours magistral d’un très grand artiste. Comme Melanie Diener, il n’oublie jamais de faire le show pour le public mais surtout pour les jeunes chanteurs qu’il « congédie » d’un « Next ! » sonore qui amuse tout le monde. Grâce à cet humour ravageur, il arrive sans peine à les faire sortir de leur réserve. C’est le cas pour la mezzo Olivia Peschke qu’il fait chanter en marchant autour du piano, les bras levés. « C’était drôle, non !? » Déstabilisée mais libérée d’une trop grande verticalité, la chanteuse entre dans le rôle. Cela se voit et s’entend… Exigeant, il corrige Valentina Lisa Bättig avec tact : « en aucun cas tu ne dois avoir la tête penchée» et de rajouter ferme mais irrésistible : « même pas en option ! ». Il joint le geste à la parole et marmonne les premières notes de Die schöne Müllerin, en exagérant la position ce qui déclenche les rires de tous et de l’intéressée en premier lieu. « Ne sois pas dans ta tête » conseille-il à Víctor Jiménez Moral, ténor à l’aigu facile dans Rossini. A la mezzo Victoria Grilz qui incarne le coquin Stéphano (Roméo et Juliette de Gounod), il indique « ce n’est que de la psychologie. Les compositeurs nous ont donné des outils, à nous de les utiliser ». Thomas Hampson passe allègrement de l’anglais à l’allemand et utilise quelques mots français pour appuyer son propos toujours « élégant ». La pure technique n’est jamais oubliée. A Maryam Jalalikandy (une graine de soprano lirico spinto) dans "Signore, ascolta!", il demande : « Votre modèle c’est Caballé ? » avant de s’exclamer « Oh mon dieu ! », sous-entendant que la référence est insurpassable. Il encourage néanmoins vivement la jeune élève et tire délicatement sur une mèche de ses cheveux pour lui faire comprendre le positionnement exact de sa tête. « Je veux des mots qui explosent ! ».
Devant tant de naturel, le professeur n’a plus rien à dire !
Avec Livia Louis-Joseph-Dogué, la plus jeune participante, un petit miracle s’est produit sur scène entrainant pourtant une délicieuse confusion. Les lecteurs de ces lignes connaissent déjà la jeune soprano découverte lors de la toute première édition du Concours Voix des Outre-mer, à seulement 16 ans. L’un des espoirs d’Opera for Peace a participé à une masterclasse à Paris, suivie d’un concert en présence de Thomas Hampson. Après s’être entretenu avec elle, il lui a proposé de poser sa candidature pour venir à Waiblingen. Son inscription sur la liste des participants lui a offert une visibilité internationale qui n’était apparemment pas le premier souhait de Livia. Comme elle nous l’a confié, les conseils techniques étaient les plus attendus pour « pouvoir régler tous les petits détails et ainsi que tout soit en place dès maintenant pour pouvoir travailler le répertoire et les langues ». Après l’avoir entendu chanter « Tu che di gel sei cinta », extrait de Turandot de Puccini, admiratif, Hampson évoque la force que doit avoir un artiste pour chanter piano. « Tu es très jeune et il faut de la maturité pour connaître sa voix » lui dit-il avant de se tourner vers la public pour ajouter : « Voici la chanteuse la plus naturelle que j'aie jamais vue ! ». Les conseils apportés ont laissé la charmante Livia Louis-Joseph-Dogué plutôt dubitative. « Ne pense plus » lui a conseillé Hampson. « Si tu chantes les mots, tu n’as plus besoin de cours de chant de ta vie ! ». « Plus tu travailleras et plus ton imagination deviendra riche et profonde ». Dans le public, portés par l’émotion, nous avons bien compris que même si elle veut et doit travailler pour entrer au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris (l’étudiante vient de valider sa Licence d’art plastique et va se consacrer entièrement à la musique classique pendant un an pour -dit-elle- se mettre à niveau et essayer de tenter l’inscription), le talent est déjà là. Comme un diamant brut, Livia Louis-Joseph-Dogué possède la détermination et l’humilité qui sont quelques-unes des clés du succès. Souhaitons à tous les artistes entendus lors de ce fabuleux Waiblingen International Opera Workshop de connaître la même carrière que leurs prestigieux mentors. Les rendez-vous passionnants donnés lors de cette cinquième édition sont de toute évidence les premiers d’une belle série.