Olga Peretyatko : « Un seul mot a pu changer ma vie d’artiste ! »
Olga Peretyatko est une des sopranos les plus demandées dans le monde qui pourrait facilement jouer à la diva en se murant dans une tour d’ivoire comme d’autres. Elle est avant toute chose une femme d’aujourd’hui, abordable et très proche de son public grâce aux réseaux sociaux dont elle joue avec maestria. Sans fausse pudeur, elle y partage ses bonheurs comme celui récent d’être maman. La belle artiste est aussi généreuse sur scène que dans la vie privée. Les mesures sanitaires nous auront empêché d’échanger en tête-à-tête avec elle et pourtant, sa vivacité, son enthousiasme communicatif et sa conversation alerte ont facilement fait tomber le mur de la distanciation. Avec naturel, elle sait installer une charmante proximité qui fait d’elle une artiste résolument moderne. A l’occasion de la sortie de son nouveau disque chez Melodiya après une fructueuse collaboration avec Sony Classical, elle nous parle de Yoga, de l’évolution de sa voix, de l’impact du confinement mais aussi de ses rôles et sans aucun doute le plus important de tous, son nouveau rôle de maman. Le long et fluide entretien qu’elle nous a accordé aurait certainement pu durer encore tant la soprano se montre éloquente et peu avare d’anecdotes mais avant les remerciements et les aurevoirs de circonstance, la dernière parole d’Olga Peretyatko aura été : « Désolée, il faut que j’y aille car ma fille vient de se réveiller » !
Quelle étrange période nous venons de vivre. Comment l’avez-vous traversée ?
Cela a été terrible pour tout le monde et ce n’est pas encore fini. Nous avons connu de nombreuses annulations comme cette production de Mazepa de Tchaikovsky à Baden Baden mise en scène par Dmitri Tcherniakov. Je devais y faire mes débuts dans le rôle exigeant de Maria avec le Berliner Philharmoniker sous la direction de Kirill Petrenko. Le spectacle a d’abord été annoncé en version de concert sans public, avec une unique diffusion. Quelques jours avant la représentation, Vladislav Sulimsky qui devait interpréter le rôle-titre a été testé positif et tout a été annulé. C’est assez désespérant mais comme ça... [NDLR : le spectacle est de nouveau programmé les 10 & 12 novembre 2021].
Nous avons dû faire avec les imprévus en permanence. J’ai quand même eu la chance de participer à la nouvelle production d’Idomeneo de Mozart à Berlin avec Simon Rattle. Là encore, la superbe production de David McVicar a été annulée et remplacée par une version de concert. Savoir que vous chantez pour 200 000 personnes alors que la salle est vide procure une étrange sensation. Lorsque j’ai pu enfin retrouver le public pour quelques concerts que nous avons fait à l’extérieur, cela a été une véritable bouffée d’air frais.
Alors que votre agenda est toujours très chargé, comment avez-vous vécu cette pause forcée de votre activité ?
Les deux premiers mois ont été extrêmement difficiles et j’ai bien cru que je devenais folle. Il fallait absolument que je fasse quelque chose. Cela faisait longtemps que mon pianiste accompagnateur Semjon Skigin nourrissait le projet d’enregistrer un recueil de berceuses. Comme j’étais toujours par monts et par vaux, il ne m’était jamais possible de travailler un nouveau programme de mélodies. Maintenant que nous étions bloqués à attendre, je me suis dit, c’est le moment ou jamais ! Le projet a donc été lancé en retenant tout d’abord 35 pièces à travailler. Un mois après, j’apprends que je suis enceinte. Quel plus beau signe du destin ! Nous avons effectué l’enregistrement de Songs for Maya en septembre 2020 à la Pierre Boulez Saal dans des conditions assez particulières comme on peut l’imaginer. Semjon et moi étions les seuls présents et nous nous sommes tenus à distance.
Je crois d’ailleurs que c’est votre fille que l’on aperçoit sur la magnifique photo de couverture ?
Oui c’est bien elle. Vous savez qu’elle est née le même jour que Mozart ! Je suis particulièrement fière des chansons que nous avons choisies parce qu’elles sont vraiment liées à ma grossesse. D’ailleurs mon bébé connait déjà les morceaux. Lorsque je lui fais écouter la musique, elle devient immédiatement silencieuse et après deux ou trois mélodies, elle s’endort. C’est un CD bien pratique ! (rires)
Songs for Maya signe aussi la renaissance d’un label discographique…
En effet, à la fin de mon contrat avec Sony, j’ai été en discussion avec de nombreux labels mais j’ai choisi Melodiya. C’est une maison iconique pour les Russes et pourtant elle avait disparu. Elle vient d’être recréée et complétement modernisée. Les producteurs m’ont offert des conditions merveilleuses et je suis impatiente de pouvoir tenir le disque dans mes mains. Il était prévu une édition seulement digitale mais finalement nous avons décidé de sortir le disque physiquement. L’objet est très beau. Il a fallu faire un choix cornélien car nous n’avons retenu que 23 mélodies sur les 35 initiales alors que je les aimais toutes.
Est-ce qu’être enceinte a eu une incidence sur votre voix ?
Oui, tout à fait ! Au début, je dois avouer que les exemples que j’avais autour de moi d’amies qui ne sentaient plus leur corps n’étaient pas très rassurants. J’ai la chance d’avoir une voix longue et j’ai l’impression qu’elle est devenue plus grande et plus chaude. Mes aigus me paraissent encore plus stables et moi qui avais toujours besoin de me chauffer avec au moins 20-25 minutes d’exercice, il me semble maintenant que ma voix est toujours prête ! Je pense que de faire beaucoup de sport et des exercices de yoga peut aider. Le plus incroyable est que j’ai rechanté seulement trois semaines après avoir accouché.
Vous faites du yoga et sur votre chaine Youtube on peut même vous voir dispenser quelques conseils. Et auparavant, vous avez même fait du karaté !
Oui, c’est le karaté qui m’a amené à la méditation que j’ai commencée très jeune. Il n’est pas courant de la pratiquer lorsque l’on a 13-14 ans et pourtant cela m’a beaucoup aidé. La méditation devrait être plus souvent enseignée car c’est une méthode de concentration qui vous place dans une condition parfaite pour apprendre. C’est après la méditation que j’ai commencé le yoga.
Le yoga est un apport pour votre technique vocale ?
En ce qui concerne la respiration, c’est un très bon entrainement pour les muscles et les poumons. Et comme vous le savez, le souffle est la base du chant. C’est en le contrôlant que vous pouvez avancer en maintenant une bonne santé vocale. Les jours de concert, je fais toujours une séance de yoga qui est presque comme un rituel. Faire ces vidéos sur YouTube a été une des nombreuses idées que j’ai eues pour occuper mon temps pendant la pandémie. Même si je suis passée à autre chose maintenant, j’y reviendrai un jour car enseigner me plait beaucoup. J’ai déjà fait quelques masterclasses en Russie et en Belgique. Des artistes débutants me sollicitent souvent sur Instagram et j’essaie de leur répondre comme on a pu le faire pour moi. Quand vous êtes jeune, il est hélas facile de commettre des erreurs qui seront ensuite irréparables. Il est bien sûr important de trouver le bon professeur mais compte également la façon de recevoir l’enseignement, votre écoute… Un seul mot a pu changer ma vie d’artiste !
Parlons de vos débuts justement, c’était au célèbre Mariinsky de Saint-Pétersbourg et vous aviez seulement 15 ans ?
Je vivais déjà quasiment dans le théâtre où mon père est choriste et j’ai commencé naturellement dans les chœurs d’enfants. Mon tout premier opéra a été Carmen « Avec la garde montante, Nous arrivons nous voilà ! … ». Mais j’ai surtout étudié à Berlin. J’ai ensuite intégré un programme pour jeunes artistes à Hambourg où j’ai chanté Barbarina, Papagena… Nous y avons beaucoup appris et j’ai pu assurer les doublures de certains rôles comme celui de Marie dans Zar und Zimmermann. Ottone de Haendel m’a offert mon tout premier rôle sur scène. Lorsque j’étais en Allemagne, j’ai beaucoup auditionné. Après avoir gagné un ou deux concours, j’ai commencé à parcourir le monde. J’étais déjà dans la carrière lorsque je suis revenue chanter au Mariinsky.
Operalia a été le concours déterminant de votre carrière ?
Il y a eu de belles choses avant, au Rossini Opera Festival par exemple, mais grâce à la visibilité que donne ce prix j’ai pu être invitée pour une tournée avec l’Opéra de Lyon, au Festival d’Aix et un peu partout. Je me souviens que pour assister aux épreuves d’Operalia qui se déroulait à Paris, j’ai fait les allers retours en train de nuit depuis Berlin où j’étais en production avec Daniel Barenboim. Ce que l’on ne peut faire que lorsque l’on est très jeune. Cependant après, j’étais complètement rincée ! Je pense que la pandémie nous a offert un break qui nous a permis de remettre les choses en perspective.
Vous deviez chanter Micaëla au Metropolitan Opera alors que vous en étiez proche du terme ?
Mon médecin m’a dit que j’étais folle mais il était hors de question que j’annule même à huit mois de grossesse. Ce devait être mes débuts dans le rôle. Maintenant que je suis maman, je sais ce qui est important dans la vie.
Les productions annulées vont-elles être reprogrammées dans le futur ?
Je dois retrouver Kent Nagano à Hambourg pour répéter Les contes d’Hoffmann d’Offenbach. Mathilde dans Guillaume Tell de Rossini était prévue mais beaucoup de choses restent incertaines. Réunir une distribution francophone est plus difficile que de faire la distribution d’une Traviata. Le rôle est très beau et j’espère pouvoir le chanter un jour.
Votre répertoire est très vaste, cependant vous vous considérez plutôt comme une rossinienne ?
Oui et non, j’ai exploré beaucoup de choses en effet mais Gilda est sûrement le rôle que j’ai chanté le plus souvent et avec lequel j’ai fait mes débuts à l’Opéra national de Paris. Beaucoup de gens me voient comme une rossinienne, d’autres comme une verdienne. Chacun a son opinion mais je pense que je suis juste une soprano avec des aigus et de l’agilité. Il faut savoir que j’ai commencé dans le répertoire de mezzo que j’ai conservé pendant environ dix ans dans les chœurs. Je n’avais jamais exploré mes aigus et lorsque je m’y suis aventurée, ça a été une vraie surprise. Je peux faire énormément de choses avec ma voix et les choix ne sont pas toujours des plus simples. Par exemple, j’adore le répertoire russe qui est du pur lyrique mais j’ai aimé chanter également Norina de Don Pasquale de Donizetti (rôle avec lequel j’ai fait mes débuts à Londres aux côtés de Bryn Terfel). Aujourd’hui ma voix est devenue plus large et je suis très contente de pouvoir me diriger vers le lyrique pur en gardant cette versatilité qui me définit bien.
Quels sont vos prochains rôles ?
Il y a pas mal de reprises prévues comme Les Contes d’Hoffmann, Rigoletto ou Il Turco in Italia à Zurich. En ce moment, nous sommes en train de monter un projet sur Pauline Viardot avec mon pianiste Semjon Skigin qui va sans doute se concrétiser. Beaucoup de concerts se profilent la saison suivante où je dois retrouver le rôle de Vittelia dans Idomeneo de Mozart. Je vais aborder Puccini pour la toute première fois à Berlin avec Liu dans Turandot. Il y a également quelque chose à Paris (à la Philharmonie) qui est une ville que j’adore. Le 14 juillet sous la tour Eiffel a été sans doute un des plus beaux concerts de ma vie.
Dans votre nouvel album, vous chantez dans toutes les langues et même en chinois !
Cela a été une surprise mais le chinois est très confortable. J’ai bien sûr été coachée par une amie mezzo-soprano qui m’a dit être fière de moi. Je ne peux que la remercier ! Tous les peuples chantent des chansons douces à leurs enfants. Pour l’enregistrement, nous tenions à proposer des mélodies très connues comme celles de Brahms, Tchaikovsky ou le Summertime de Gershwin mais pas seulement. Dans le Lullaby Mantra qui clôt le CD, j’ai tenu à regrouper plusieurs langues en les rapprochant comme l’hébreu et l’arabe, le russe et l’ukrainien car nous n’avons qu’une seule planète et nous devons unir le monde.
C’est le but d’un mantra, n’est-ce pas ?
Le mantra traditionnel est une invocation simple et courte en sanskrit qui doit être répétée 108 fois (ou quatre fois par groupe de 27). Aujourd’hui, il en existe de toutes sortes et si l’on y regarde de plus près, les chansons douces pour enfant s’en rapprochent beaucoup comme une langue originelle. Nous avons travaillé dans cet esprit avec Semjon dans une complète improvisation avec différents instruments. Nous avons ensuite choisi les langues pour cette version courte de 8 minutes qui est composée de 27 répétitions. Ceci est ma contribution car je suis persuadée que la beauté peut changer le monde.
Propos recueillis le 12 mai 2021