Inauguration du Staatsoper de Berlin, à qui le Faust ? Goethe, Schumann ou Barenboim ?
La salle historique de Berlin, le Staatsoper unter den Linden rouvre enfin ! Voilà plus de 7 ans que l’on attendait et pour la grande occasion, Wolfgang Goethe, Robert Schumann et Daniel Barenboim ont été réunis. Ont-ils été à la hauteur de l’événement ? Réponse…
Comme le dit un adage populaire : « Les travaux, on sait quand cela commence, jamais quand cela finit ! » Dans le cas du Staatsoper unter den Linden, il était difficile d’imaginer que l’opéra historique de Berlin allait rester fermé durant sept longues années. Le 6 octobre 2017, la représentation du spectacle qui a inauguré la salle rénovée (les Szenen aus Goethes Faust de Schumann) n’était cependant qu’une sorte de prélude à une grande réouverture encore plus officielle. Elle aura lieu le 7 décembre avec un concert anniversaire pour les 275 ans du Staatsoper Unter den Linden, la salle fermant de nouveau ses portes jusque-là. Les spectateurs d’octobre ont en quelque sorte essuyé les plâtres du théâtre, toujours entouré de gravats et de nombreux Algecos.
La physionomie intérieure a été modifiée pour améliorer l’acoustique, en relevant le plafond de quelques mètres. Au troisième rang de parterre sur le côté comme dans la plupart des théâtres à l’italienne, le son de l’orchestre semble paradoxalement un peu lointain car il s’envole dans les cintres. Parfaitement claires en revanche, les voix nous parviennent frontalement dans toute leur splendeur. Comme dans la plupart des opéras, les premiers rangs permettent d’apprécier les chanteurs et les détails de la mise en scène plus que ceux de la musique (le lendemain, un concert symphonique nous permettra de mieux juger de l’acoustique).
Goethe, Schumann, Barenboim et les autres pour la réouverture
Pendant les longs mois d’exil, fort heureusement, la troupe a trouvé refuge au Schiller Theater. Elle a pu maintenir la qualité de ses productions toujours à un très haut niveau, sous l’exigeante direction de Daniel Barenboim. Pour le retour tant attendu dans la maison-mère, il fallait un spectacle hors norme. En portant leur préférence sur les Szenen aus Goethes Faust de Schumann, les directeurs de l’institution ont fait un choix pertinent. A la fois pièce de théâtre et ébauche d’opéra, l’œuvre offre au sculpteur Markus Lüpertz, au metteur en scène Jürgen Flimm et au chef d’orchestre Daniel Barenboim la possibilité d’exposer leur art.
Déclamé derrière un pupitre par la célèbre Anna Tomawa-Sintow, le poème de Goethe Zueignung a ouvert le Faust I, comme il se doit. Au lever du rideau, les notes de Schumann ont alors déferlé. Daniel Barenboim survolté a apporté une urgence et un souffle épique qui conviennent parfaitement pour rendre la folie de cette merveilleuse musique. Très inspiré, il réussira le prodige de maintenir l’équilibre et la tension tout du long malgré l’alternance des parties chantées et parlées. Sur le plateau, dans leur rôle dédoublé, les artistes lyriques et les acteurs évoluent dans un décor marquant réalisé par le grand artiste du néo-expressionnisme allemand Markus Lüpertz.
Mal compris sans surtitrage, un Faust à demi pardonné…
Avec une tête à la Beetlejuice, René Pape est un Méphistophélès souverain qui nous emporte de la première à la dernière note. Elsa Dreisig est tout aussi exceptionnelle. La jeune soprano qui possède une voix pleine et des aigus somptueux incarne pourtant une Gretchen fragile, tourmentée et absente. Du grand art ! Roman Trekel habite son personnage de Faust avec la même conviction. Les aigus sont percutants, les graves moins audibles, hélas ! Le reste de la distribution de très haute qualité permet de distinguer surtout la mezzo Katharina Kammerloher et le baryton Gyula Orendt, Evelin Novak et Adriane Queiroz, un peu moins Stephan Rügamer, ténor de caractère pas tout à fait sa place dans le rôle d’Ariel.
Les parties chantées étaient fort à propos surtitrées en allemand et en anglais, la pièce de théâtre, hélas non ! Il est fort difficile d’apprécier les comédiens lorsque l’on est plus familier de la langue de Molière que celle de Goethe. L’on a beau connaitre son Faust (et réussir à identifier Gretchen am Spinnrade grâce à la fréquentation des lieder de Schubert), lorsque l’on n’est pas germanophone, chercher à comprendre est mission impossible, natürlich !
Pour un théâtre et un événement de cette classe internationale, l’absence de surtitrage est une déconvenue, la seule de cette soirée parfaite au demeurant. L’orchestre de la Staatskapelle Berlin et les chœurs ont été exceptionnels et tout particulièrement le Kinderchor (l’on a rarement entendu enfants chanter si juste et si beau). De la mise en scène de Jürgen Flimm, nous restent des images fortes comme Gretchen titubant sur le dos d’une foule de religieuses accroupies ou bien Faust en majesté, dans une barque perdue sur l’immense plateau. Malgré le fatras parfois sur scène, les vers de Goethe qui illustrent le programme « Zum Augenblicke sagen: Verweile doch! Du bist so schön! » résument ce spectacle de réouverture du Staatsoper unter den Linden : « Arrête-toi, instant, tu es si beau » …