Exorcisme réussi à l’Opéra de Budapest
On connait les spécificités de la première scène d’opéra de Hongrie. Le Magyar Allami Operaház est d’abord un lieu magnifique et le passage obligé de tous les mélomanes. C’est également une maison qui abrite l’une des meilleures troupes de chanteurs au monde avec l’Opéra de Prague. Alors que la programmation pourrait enchaîner les œuvres populaires sans aucun risque de désemplir le théâtre, le répertoire réserve souvent quelques belles surprises. La première est la défense sans faille d’un répertoire national avec les grandes oeuvres toujours à l’affiche.
Le Château de Barbe-Bleue de Bartók (dont on célèbrera le centenaire en 2018) est bien évidemment un incontournable et sans doute le plus connu des opéras hongrois. Les partitions de Kodály sont également distribuées comme celles de compositeurs importants mais moins connus en dehors des frontières comme Ferenc Erkel, Károly Goldmark ou Ernő Dohnányi.
Du 10 mai au 10 juin 2017 s’est d’ailleurs tenu un festival dédié à cette musique classique nationale et heureusement toujours bien vivante. Le 27 mai 2017, la dernière représentation de Love and Other Demons du compositeur contemporain Péter Eötvös a prouvé -s’il le fallait encore- que le XXIe siècle continue de produire de grandes œuvres pour l’opéra.
Les démons ne sont pas ceux que l'on pense
Créé à Glyndebourne en 2007, la partition a été revisitée et resserrée pour proposer cette nouvelle version dite de Budapest. Tout a d’ailleurs été mis en œuvre pour la réussite du spectacle.
L’action se situe certainement en Colombie, au milieu du XVIIIe siècle. Parce qu’elle a été mordue par un chien un soir de pleine lune, Sierva Maria, la jeune héroïne subit un exorcisme qui lui sera fatal. Le livret impressionnant est inspiré de la nouvelle de Gabriel García Márquez, une dénonciation des obscurantismes car la jeune fille doit faire face non seulement au fanatisme religieux mais aussi à la pression familiale, la jalousie et la bêtise humaine. Les démons n’existent que dans l’esprit de ceux qui l’entourent et même le discernement du médecin et l’amour du jeune prêtre ne pourront rien changer au terrible dénouement.
L’un des grands mérites du metteur en scène Silviu Purcărete est de rendre l’intrigue parfaitement lisible. Le dispositif scénique reste simple (un intérieur décrépi et un praticable qui fait office de chambre ou de potence) et permet quelques images fortes notamment grâce à des projections vidéo.
Une folle impressionnante conseille de fuir
Chantée principalement en langue anglaise, la partition emploie l’espagnol mais également le latin et le Yoruba et ses interprètes sont tous dignes d’éloges. Tetiana Zhuravel qui incarne la petite Sierva Maria possède une allure juvénile et les aigus cristallins qui conviennent parfaitement. Zsolt Haja dans le rôle du prêtre amoureux est très investi scéniquement tout comme Andrea Meláth (l’abbesse) et Éva Balatoni (Martina Laborde, une folle), impressionnantes dans leurs scènes de folie. L’on remarque également la voix précise de Gergely Boncsér car l’écriture de Péter Eötvös (qui dirigeait lui-même) met en valeur les chanteurs. Le compositeur connait son métier et ce nouvel opus le confirme. Cette fois un seul orchestre est utilisé (dans ces précédents opus, deux ont parfois été sollicités) mais les effets saisissants de spatialisation sont préservés notamment lors de l’entrée des nones ou les mots lâchés, bruts, sans musique comme ce « Escape » éructé par la folle.
Love and other Demons est un opéra de l’exacerbation des postures et des émotions assez éloigné de la retenue de Dialogues des carmélites par exemple mais d’une force évidente que cette production réussie magnifie. Il est à espérer que l’Opéra de Budapest aura la bonne idée de la maintenir durablement au répertoire déjà fourni des grands opéras hongrois.