Marie-Laure Garnier en résistance aux Invalides avec Juliette Hurel et Tristan Raës
L’Histoire peut également se vivre en musique comme le prouve la programmation de la saison musicale des Invalides. Un trio inédit, Marie-Laure Garnier, Juliette Hurel et Tristan Raës chantent la guerre en faisant de multiples éclats. Explication…
A Paris, le Grand Salon du Musée de l’Armée aux Invalides accueille une série de concerts et de récitals de très haute tenue. La pertinence de la programmation et le choix des artistes invitent au voyage même en des terres rarement visitées. Lundi 17 mars 2025, la soprano Marie-Laure Garnier, la flûtiste Juliette Hurel et le pianiste Tristan Raës ont clos le cycle « Une certaine idée de la France » lors d’un récital passionnant avec des pièces d’Ibert, Caplet, Honegger, Jolivet, Franck Martin et Paul Arma ou encore Dutilleux, Messiaen et Varèse. Les compositeurs ont en commun la résistance et l’exil provoqué par la Seconde Guerre mondiale. De nombreux artistes ont dû emprunter ces routes pour créer, combattre et défendre les valeurs de liberté et de fraternité comme nous le rappelle le programme de saison. « Une certaine idée de la transmission » aurait pu être le sous-titre de ce récital tant il paraît approprié à l’expérience vécue.
Garnier avec Tristan et Juliette, ce n’est pas que de l’opéra mais la musique Caplet !
Christine Dana-Helfrich, qui est à la fois responsable artistique de la Saison Musicale du Musée de l’Armée aux Invalides et conservatrice en chef du patrimoine, sait plus que nulle autre proposer des programmes originaux et intelligemment construits. Dans son discours de bienvenue, elle a posé quelques repères aussi bien historiques qu’artistiques qui ont permis de vivre le récital encore plus intensément. En ouverture, les Deux Stèles orientées d’Ibert (créées en 1926) rappellent les accords de Locarno du 16 octobre 1925 qui ont jeté les bases d’une détente franco-allemande, hélas momentanée. La flûte traversière de Juliette Hurel s’y marie avec légèreté au si beau timbre de Marie-Laure Garnier. Plongé dans cet orientalisme envoûtant et relativement apaisé, l’on admire la parfaite diction de la soprano. Le livret est inutile car chaque mot est compréhensible et surtout, incarné. Le piano très expressif de Tristan Raës accompagne la voix dans les pièces d’Henri Dutilleux, La Geôle et Féérie au clair de lune, inspirées des textes que Jean Cassou a écrits, entre décembre 1941 et février 1942, alors qu’il était emprisonné pour acte de résistance. L’écriture labyrinthique pour le piano est contrebalancée par la voix rassurante qui vit un texte très fort. La Sonatine de Dutilleux pour flûte et piano de 1943 sera entendue un peu plus tard, permettant d’admirer la virtuosité d’une grande dame dans la parfaite maîtrise de son instrument.
Trois artistes au sommet dans toutes les configurations
Les pages instrumentales et les mélodies se sont succédées aménageant un équilibre naturel entre les trois interprètes. Le Merle noir, un des oiseaux les plus abordables d’Olivier Messiaen, est venu se poser sur le pupitre des instrumentistes pour évoquer la figure du compositeur emprisonné à Görlitz où il crée son fameux Quatuor pour la fin du Temps. Même si la Densité 21.5 (pour flûte traversière seule de 1936, revu en 1946) de Varèse suscite plus les acouphènes que l’enthousiasme, elle rappelle l’avant-gardisme et la modernité bien vivante de son auteur. La découverte la plus troublante du concert est une pièce pour piano de Paul Arma, Pour ceux qui ne sont jamais revenus : mes amis torturés, massacrés extraite des Trois épitaphes, op 115. Né à Budapest en 1904 (un 22 octobre comme Franz Liszt), Arma, hongrois d’origine, est une figure cruciale de l'histoire de la musique de la Résistance française. Elève de Béla Bartók, il a composé cette pièce comme un long crescendo ponctué de graves de plus en plus marqués, comme autant d’étapes vers l’horreur. A cette évocation violente ont répondu des moments de grâce. Dans la gravité et la simplicité du deuxième des Trois Psaumes, H 144 d’Arthur Honegger (1941), les paroles « Donne-moi délivrance » prononcées sur le souffle touchent profondément. Marie-Laure Garnier déploie son art de la mélodie dans un Écoute mon cœur d’André Caplet, susurré et évanescent. La soprano en dialogue avec la flûte de Juliette Hurel offre, l’air de rien, une subtile messa di voce qui procure le plus beau moment d’extase de la soirée. Il est heureux que le programme, qui aurait pu paraître exigeant sur le papier, n’ait pas effrayé un public venu en grand nombre. Le concert, qui affichait complet, peut se résumer à cette complainte à Dieu d’André Jolivet. Dans la transmission, le texte puissant a été vécu par les artistes et profondément ressenti par le public. Les trois artistes ont clos ce moment exceptionnel dans une lueur d’espoir avec les Trois chants de Noël de Frank Martin, composés en 1947 avant un dernier bis, le magnifique Viens ! une flûte invisible soupire de Caplet.