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Sabine Devieilhe dans le noir avec un Pelléas absent à l’Opéra Bastille

Sabine Devieilhe dans le noir avec un Pelléas absent à l’Opéra Bastille

Chef-d’œuvre absolu de Debussy et pourtant opéra indéfinissable, Pelléas et Mélisande est l’un des piliers du répertoire de l’Opéra national de Paris. Chaque nouvelle production est un événement surtout avec Sabine Devieilhe et malgré un inattendu. Explications…

Sabine Devieilhe © Benoîte Fanton / Opéra national de Paris - Pelléas et Mélisande 24-25

Les méchants virus attaquent encore. Alors qu’une des distributions les plus attendues de la saison de l’Opéra national de Paris était annoncée à l’Opéra Bastille ce 4 mars 2025, les spectateurs ont appris que Huw Montague Rendall, le nouveau baryton dont tout le monde parle, était souffrant. Un arbre de la forêt de Pelléas et Mélisande de Debussy pouvant cacher un autre artiste, Bernard Richter a été appelé à le remplacer dans le rôle-titre, ce soir de deuxième représentation. La tessiture redoutable peut convenir à la fois à un ténor ou à un baryton-martin, de même que celle de Mélisande, à une mezzo ou une soprano. Tout est affaire d’équilibre. Avec la délicate Sabine Devieilhe, la soirée a réservé de nombreuses surprises tout en conservant sa part de mystère.

Mouawad et Manacorda se partagent les clairs et les obscurs

Huw Montague Rendall et Sabine Devieilhe © Benoîte Fanton / Opéra national de Paris - Pelléas et Mélisande 24-25

Après le succès de sa toute première mise en scène d’opéra (Œdipe d’Enescu en septembre 2021, couronné du Grand prix de la musique du Syndicat de la critique), le retour de Wajdi Mouawad à l’Opéra Bastille était attendu et souhaité. Le choix du chef-d’œuvre de Debussy présente un défi pour tous les metteurs en scène souvent tiraillés entre économie d’explication et illustration littérale, quitte à trahir les atmosphères. Pour cette nouvelle production du chef-d’œuvre symboliste à l’Opéra national de Paris, le parti pris de Mouawad qui vise l’épure n’a pourtant rien à voir avec la précédente production de Bob Wilson (à l’affiche sept fois à Bastille entre 1997 et 2017). Le plasticien américain y sculptait une lumière éclatante. À l’inverse, Mouawad préfère l’obscurité avec pour seul décor les vidéos fort belles de Stéphanie Jasmin. Alors qu’il respecte scrupuleusement les didascalies, le château d’Allemonde est évoqué par des images d’une lande, la fontaine des aveugles est une cascade tout aussi fougueuse que l’ardeur de Pelléas et la mort de Mélisande se déroule devant un paysage de neige qui emprisonne des hortensias fanés. Entre rêve et réalité, la mise en scène pose plus de question qu’elle n’apporte de réponse et c’est tant mieux ! Le monde sensible côtoie la rudesse des hommes et Pelléas et Mélisande garde une grande partie de ses mystères même si le texte apparaît en surbrillance sur les éléments de décor tout au long du spectacle (hommage de l’homme de théâtre à la poésie de Maurice Maeterlinck). A la direction musicale, Antonello Manacorda est l’autre architecte de la réussite du spectacle avec son approche raffinée et les clairs-obscurs d’un Orchestre de l’Opéra national de Paris à son meilleur. Le chef sert la musique de Debussy en faisant ressortir les contrastes subtils et la beauté lumineuse de chaque pupitre. 

Nouvelle récidive de Sabine Devieilhe, copiant cette fois Mary Garden

Gordon Bintner, Sabine Devieilhe, Jean Teitgen et Amin Ahangaran © Benoîte Fanton / Opéra national de Paris - Pelléas et Mélisande 24-25

Quelques réserves sont à formuler sur cette distribution tant attendue avec les débuts scéniques de Sabine Devieilhe dans le rôle de Mélisande. Sous employée, Sophie Koch, autre grande voix française, ne convainc pas complètement dans le rôle de Geneviève, chanté de façon trop appuyée. Ce soir de deuxième représentation, l’élégante et admirable mélodiste semble se débattre avec les mots et la justesse. Avec l’irréprochable Jean Teitgen, le grand-père Arkel, enfin sorti des chaises roulantes où l’on place trop souvent le personnage, prend vie à la fois scéniquement et vocalement (avec aplomb même) face à la parfaite Sabine Devieilhe. Alors qu’elle n’avait abordé le rôle qu’en version de concert, l’artiste répond à toutes les attentes dans un rôle qu’elle incarne à la perfection. Beauté irréelle, corps gracile et longs cheveux, elle est même physiquement la Mélisande telle qu’on se l’imagine où telle que représentée sur les gravures de Mary Garden, la créatrice du rôle. Toutes les nuances, toutes les ambiguïtés de la partie qui passent dans l’écriture vocale, très centrale, de Debussy sont comme sublimées par l’interprète en état de grâce, un fois encore ! Il faut dire qu’avec Wajdi Mouawad, elle a trouvé le metteur en scène capable de la faire jouer comme elle chante, chanter comme elle joue, à la fois terrestre et céleste jusque dans la scène de la mort, où elle reste captivante. Le personnage brutal de Golaud est également traité dans une complexité que Gordon Bintner n’arrive que partiellement à rendre vocalement. La projection limitée de son baryton lui empêche d’impressionner dans les accès de fureur (le cri « Absalom » tombe à plat). Pourtant la diction est bonne et le texte est là mais pas suffisamment incarné. Le petit Yniold, son fils, est remarquablement interprété par un soliste de la Maîtrise de Radio France. Artiste de la Troupe lyrique de l’Opéra national de Paris, Amin Ahangaran incarne le médecin avec de jolis moyens mais une diction perfectible. Dans une distribution en grande partie francophone, le moindre accent, aussi léger soit-il, se remarque. Alors que Huw Montague Rendall connait un début de carrière fulgurant, Bernard Richter est habitué à chanter Pelléas, l’un de ses rôles emblématiques. Loin d’être un remplaçant de dernière minute, il prouve, par son art et l’application de son chant (malgré un ou deux aigus un peu poussés), qu’il est en effet un très bon Pelléas. Tout est ensuite une affaire de timbre et d’alchimie entre les artistes mais le regret d’entendre le ténor à la place du baryton s’est vite estompé grâce à la force du spectacle qui trouverait sans doute plus sa place dans la « relative » intimité de Garnier mais que l’on aura un vif plaisir à revoir.

Sabine Devieilhe et Huw Montague Rendall © Benoîte Fanton / Opéra national de Paris - Pelléas et Mélisande 24-25

Toutes les Voix Nouvelles (ou presque) au Théâtre des Champs-Elysées

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