L’instant lyrique de Joyce El-Khoury à Paris
Depuis cinq saisons déjà à Paris, le dôme de l’Eléphant Paname accueille des récitals de chant de haute volée. Le mélomane a pu applaudir le dernier concert de 2019 avec la soprano Joyce El-Khoury. Compte-rendu…
Les concerts se suivent avec de bonnes surprises à l’Eléphant Paname, la nouvelle salle de récital de la rue Volny désormais bien installée. Les mélomanes ont eu ce lundi 20 mai 2019 une double occasion de se réjouir en découvrant la prochaine saison 2019-2020 (où, entre autres, les grands noms d’Annick Massis, Véronique Gens, Karine Deshayes, Michael Spyres ou Cyrille Dubois sont attendus) et surtout en assistant au récital de la soprano Joyce El-Khoury. Le nom de la belle Libano-canadienne avait déjà été remarqué sur les affiches des grandes maisons d’opéra à Londres, New York ou Munich mais pas encore à Paris. Parfaitement entourée par Antoine Palloc au piano, elle a proposé un programme délicat autour des parfums orientaux avec des œuvres de Bizet, Fauré, Chausson et Saint-Saëns, la Shéhérazade de Ravel et également de fascinantes mélodies traditionnelles libanaises.
Un vibrant Ravel sans orchestre
Les ambiances sont une des clés pour la réussite de l’exercice si délicat du récital. En ouvrant la représentation par Les Adieux de l’hôtesse arabe de Bizet, pianiste et interprète sont au diapason dans un tempo suffisamment langoureux pour immédiatement nous plonger dans l’atmosphère trouble d’un hammam. Le timbre de la soprano n’est pas des plus séduisants et pourtant la conduite de la voix est remarquable avec un souffle maîtrisé et une diction impeccablement distinguée. Elle se plie aux exigences du récital de chant en allégeant son instrument pour se fondre dans le piano moelleux comme avec le subtil Roses d’Ispahan de Fauré, aérien. Il faut saluer le talent d’Antoine Palloc qui rebondit avec art de pièce en pièce, remplaçant allègrement l’orchestre dans les Ravel. Sa palette de couleurs est large et son jeu suffisamment raffiné et complexe pour qu’on le remarque sans pour autant tirer la couverture. Vibrante, Joyce El-Khoury incarne les vers de Tristan Klingsor et les rend délicieusement vivants.
Dans l’intimité de la soprano
Le charme opère avec évidence lorsque la soprano s’adresse spontanément au public pour présenter les mélodies libanaises comme Le Chant d’amour, œuvre contemporaine de Bechara El-Khoury présent dans la salle. La jolie Joyce confesse avoir googliser son nom comme toutes les jeunes sopranos. Elle est tombée par hasard sur le nom du compositeur qui, après leur rencontre à Paris, lui fera un cadeau en lui confiant cette partition puissante. Le récital s’est poursuivi ensuite dans une délicieuse intimité à l’évocation des chansons populaires comme pouvait les fredonner son grand-père. « Rah halfak bel ghosn ya asfour » d’Assy Rahbany et Mansour Rahbany sollicite un grave bien installé et fort beau. Le concert généreux s’est refermé sur deux bis impressionnants. Joyce El-Khoury a retrouvé son soprano lyrique pour un premier air d’opéra. Extrait de Roberto Devereux de Donizetti, le « Vivi ingrato a lei d'accanto » très investi rappelle l’artiste belcantiste capable de splendides piani. Enfin, l’air « Il est doux, il est bon » extrait d’Hérodiade de Massenet (trop souvent entendu dans les concours de chant) est interprété avec un naturel infini. Joyce El-Khoury nous réconcilie avec la superbe musique de Massenet et nous transporte dans cet ailleurs, cet instant lyrique enchanteur et très réussi.