Elena Bashkirova, une très grande dame du piano au Théâtre des Champs-Elysées
La fameuse série « Piano quatre étoiles » affiche toujours les grandes stars du piano. Et lorsque le mélomane peut applaudir l’élégance et le charme de Madame Elena Bashkirova au Théâtre des Champs-Elysées, il part à l’aventure en confiance. Compte-rendu…
Profondément investie dans le Jerusalem Chamber Music Festival Ensemble, la pianiste Elena Bashkirova s’est faite un peu plus rare en récital ces dernières saisons. Privilège a été donné au public connaisseur de la série « Piano quatre étoiles » de pouvoir applaudir la superbe artiste au Théâtre des Champs-Elysées, lors d’un récital solo ce mercredi 15 mai 2019. Le programme très intelligemment construit en miroir a permis d’apprécier des œuvres de Mozart en première partie face aux Impressions poétiques de Dvořák et à la Sonate Sz. 80 de Bartók dans la deuxième.
Les Mozart enchaînés
Annoncés dans le programme, la Fantaisie No. 3 K. 397, le Rondo K. 485, les Huit variations sur « Comme un’agnello » K. 460 et enfin la Sonate K. Anh. 136 ont été difficiles à identifier car la pianiste a choisi de jouer enchaîné, en ne marquant qu’une seule pause dans cette première partie fournie. La plongée dans l’univers du génie autrichien a donc été totale et même déroutante. En abordant les toutes premières notes andante de la Fantaisie avec des pianissimos alanguis, Elena Bashkirova ose ensuite les contrastes saisissants avec une vision quasi expressionniste comme pour jeter un pont vers la sonate de Bartók qui conclura le concert. L’interprète joue cette musique comme autant d’impressions poétiques qui se suivent. Le jeu est doucement coloré pour obtenir une grâce toute mozartienne dans l’andante de la sonate par exemple. La virtuosité est de mise avec un touché détaché et précis mais l’artiste construit plus qu’elle ne démontre avec une maîtrise remarquable. L’approche reste toujours simple et directe pour laisser s’épanouir la musique avant tout.
Les impressions de Dvořák inspirées
Contemporaines de la Symphonie No. 8 (1889), Les Impressions poétiques op. 85 de Dvořák ne font pas vraiment partie du répertoire à la mode et cela est bien dommage car le célèbre compositeur tchèque y fait preuve d’une belle inspiration. En offrant aux pianistes une large palette expressive, il dessine plusieurs tableaux qu’il est fort agréable de contempler, surtout interprétés par Elena Bashkirova. L’artiste se montre très fidèle aux atmosphères décrites dans le programme. Par exemple, dans Chemin nocturne, la fraîcheur du jeu est en effet troublée par les staccatos figurant la partie fantastique. Au vieux château pourrait évoquer le Schumann du Lied « Auf einer Burg » par Matthias Goerne lorsqu’il est interprété comme ici sans artifices. Dans l’émotion, la pianiste reste pudique et profondément humaine. Comme dans une très belle Rêverie, la mélancolie n’est jamais mièvre. L’œuvre de Dvořák est abordée comme celles de Mozart. Les contrastes sont marqués avec une énergie contenue qui ne manque pourtant pas d’effet.
La Bacchanale déchaînée conclut la partie avec cependant la surprise de ne pas applaudir le cycle complet. Le programme de salle confus ne semble pas fidèle aux choix de l’interprète. Pas de désordre en revanche dans la présentation de la folle Sonate Sz. 80 de Bartók qui vient terminer le récital en feu d’artifice. Dans l’Allegro, Elena Bashkirova retient les déflagrations dans un crescendo frappant pour ensuite respecter à la lettre le Sostenuto e pesante. Directement enchaîné, le troisième mouvement Allegro molto confirme l’impression d’une grande maîtrise du propos qui reste parfaitement élégant. L’on aurait pu souhaiter plus d’animalité mais ce serait mal connaître la grande classe de cette interprète unique, une très grande dame du piano.