Grand style français et coa-coa à Royaumont
Dans l’actualité de cette rentrée, il n’y a pas que le Brexit ou Downton Abbey. A l’occasion de deux concerts-événements autour de la musique française, le mélomane a pu constater que le Festival de l’Abbaye de Royaumont est à la pointe de la French touch. Explications…
Les bonnes habitudes ne se perdant point, un détour par Royaumont s’impose en début de saison pour profiter du festival et des lieux magnifiques où se succèdent les concerts de qualité. Dans ce havre de paix toujours aussi agréable, les événements se sont enchaînés le dimanche 29 septembre 2019, journée dédiée en partie à la mémoire du précurseur et chef admiré Jean-Claude Malgoire. Au début des années 80, le pionnier du baroque a séjourné ici pour travailler à la redécouverte des caractéristiques de l’opéra français des XVIIe et XVIIIe siècles. La multicarte Fondation Royaumont possède un atout majeur avec sa bibliothèque qui ne cesse de s’enrichir de nouveaux volumes. En 2007, la collection François-Lang a été acquise puis en 2011, le fonds Rameau de Patrick Florentin est venu enrichir les étagères avec de nombreuses partitions originales. Une exposition (« Le fonds Rameau de la Bibliothèque musicale François-Lang ») et une rencontre autour de l’Oeuvre du compositeur (avec la musicologue Sylvie Bouissou) brillamment organisées par Thomas Vernet sont venues ponctuer cette journée parfaite.
Les ombres gagnent Royaumont
On ne le sait pas forcément mais Royaumont accueille des artistes en résidence pour leur offrir tout le loisir de développer leur art. A partir de 2020, l’ensemble baroque Le Consort habitera les lieux jadis occupés par Il Seminario Musicale, Organum, Le Poème Harmonique ou Pygmalion, entre autres. Le concert de 12h00 au Réfectoire des convers a été un excellent préambule à cette résidence avec la confirmation d’un choix judicieux fait par la direction artistique de Royaumont. Avec la mezzo-soprano Eva Zaïcik, l’ensemble a enregistré un remarquable CD de cantates françaises intitulé « Venez chère ombre ». Une bonne partie de ces petits opéras en concentré signés Montéclair, Clérambault, Courbois et Lefebvre est reprise ici avec l’immédiateté du concert.
Grâce à la cohésion du programme et à l’excellente tenue des artistes, le charme opère et nous transporte dans un XVIIIe siècle presque palpable dépassant même les attentes suscitées par la réussite du disque. La grande styliste Eva Zaïcik nous envoûte avec son admirable phrasé, la beauté de son timbre, la parfaite projection de la voix et son art raffiné de conteuse. Elle accompagne son chant d’une gestuelle que l’on imagine tout à fait en situation dans un salon poudré. Quelques interludes musicaux nous permettent d’apprécier des sonates de Dandrieu et cette captivante Plainte en dialogue où l’on savoure la délicatesse et l’engagement des quatre solistes (Théotime Langlois de Swarte, Sophie de Bardonnèche, Louise Pierrard et Justin Taylor) admirablement soudés. Rares sont les concerts qui vous font voyager dans le temps qui semble s’être arrêté à Royaumont notamment lors des rappels avec des airs de Purcell. Sur les premières notes du célèbre Dido’s lament à faire pleurer les pierres, un nuage est passé dans le ciel, plongeant le réfectoire dans une semi-pénombre propice à la musique : « venez chère ombre… ».
Pas folle, la grenouille trouble son onde
Après ce véritable moment de grâce, les mélomanes se sont retrouvés dans le Réfectoire des moines pour le deuxième concert de la journée avec une version de concert de Platée. L’opéra de Rameau sur la grenouille infatuée est bien connu pour avoir fait l’objet de quelques captations au disque (Jean-Claude Malgoire, Marc Minkowski) ou au DVD. De nombreux spectateurs parisiens ont en mémoire les mises en scène de Laurent Pelly au Palais Garnier ou de Robert Carsen, Salle Favart. Après la belle réussite d’un CD Rameau avec l’exquise Sabine Devieilhe, l’on se réjouissait de retrouver la direction d’Alexis Kossenko à la tête de son ensemble Les Ambassadeurs. Le jeune chef est indéniablement un Ramiste et pourtant, il lui manque encore cette petite dose de folie qui sied si bien à l’ouvrage délirant. La partition fait entendre les onomatopées de toute sorte d’animaux qui ne font ici que de timides apparitions. Le grand morceau de bravoure orchestrale de la tempête est fort bien exécuté avec une formation faisant preuve alors de cohésion. Autour de lui, un plateau vocal inégal réserve de bonnes surprises.
Thomas Dolié dans le rôle de Jupiter et Victor Sicard (Momus) sont parfaitement en place et habitent leur personnage avec autorité. Nicholas Scott est l’histrion de la soirée en Thespis et Mercure. Malgré une émission flottante et une articulation à travailler, il emporte les suffrages grâce à un talent comique irrésistible. L’on n’attendait pas Chantal Santon Jeffery dans le rôle à effet de la folie. En excellente musicienne, façon diva, la soprano aborde la partition avec une certaine gourmandise et sans trop de difficulté même si l’on aurait souhaité encore plus de pyrotechnie et d’éclat. Arnaud Richard et Hasnaa Bennani (sous-dimensionnée dans Junon) complètent avec leur timbre agréable l’ensemble où manque l’héroïne de l’opéra. Platée (brillamment interprété jadis par Michel Sénéchal, Gilles Ragon, Jean-Paul Fouchécourt, Paul Agnew ou Marcel Beekman) offre un rôle en or aux voix de hautes-contre à la française. Anders J. Dahlin possède une voix mixte où passent les aigus mais qui reste trop sombre pour permettre les effets comiques. Une compréhension approximative du texte, de son second degré et de ses nombreuses allusions coquines empêche la caractérisation. Et surtout, lorsque le chanteur cherche à alterner les moments de beau chant épuré (façon Prince Charmant ?) et de sur-expressivité grimaçante (façon Shrek ?) avec des étonnantes baisses de volume, il se trompe de marais car n’y a point de Platée ici.
La grenouille n’a certainement pas dit son dernier coa-coa. Espérons qu’elle sera bientôt de retour dans l’écrin de Royaumont et de ces bassins.