Royaumont donne de la voix toute la nuit
Comment faire l’impasse sur l’événement 2019 du Festival de Royaumont ? Les huit artistes de l’Académie Orsay-Royaumont ont tout donné pour ravir leur public pour des débuts plus que prometteurs ! Compte-rendu…
Inutile de résister lorsque Royaumont vous lance une invitation au voyage. Située à à peine une heure de Paris, l’abbaye est un lieu magique qui réserve de nombreuses surprises. Les visiteurs ne savent pas toujours qu’une cinquantaine de chambres (certaines avec vue sur cloître) accueillent très confortablement les mélomanes avides d’expériences intenses. Lors d’un week-end immersif en environnement hautement culturel, ils peuvent ainsi visiter les lieux, les expositions et profiter de la table où sont servis des mets inspirés du Potager-Jardin de l’abbaye… sans oublier d’assister aux concerts ! Et à propos de nourriture céleste, la journée du samedi 5 octobre 2019 consacrée à la musique de chambre et à la mélodie vient de clore en beauté la 75ème édition du Festival.
Matière noble, rondeurs et décibels
C’est dans une ambiance automnale que s’est déroulé le premier concert de la journée. A travers les vitres de la Salle des charpentes, les feuillages rougeoyants ont offert un décor naturel et propice à la musique du tournant du siècle. Le programme habilement conçu par le Quatuor Van Kuijk était composé d’œuvres de Ravel, Franck, Lekeu et Chausson. Dans le Quatuor de Ravel tout d’abord, l’ensemble nous a enivré de sonorités rondes et charmeuses. Même les pizzicatos du deuxième mouvement ont sonné élégants sans rien sacrifier à l’expressivité. Fondé en 2012, le Quatuor Van Kuijk s’est rapidement imposé grâce à son style impeccable et à son énergie que l’on retrouve dans le Quintette avec Piano de César Franck. Avec le piano complice d’Alphonse Cemin, leur interprétation offre de la matière et des décibels à cette grande architecture avec toujours, la beauté et la transparence des timbres. La charmante Eléonore Pancrazi a rejoint les musiciens pour chanter un joli Nocturne de Lekeu, un rien pâle comparé au chef-d’œuvre qui a suivi. Le texte de la Chanson perpétuelle de Chausson signé Charles Cros est comme un mélodrame que défend bien la mezzo un peu exposée dans l’aigu final.
Stars confirmées et chanteurs en herbe
La voix et l’accompagnement étaient le sujet même de la Nuit de la mélodie et du Lied proposé ensuite au Réfectoire des convers. Dans ce cadre à la fois intime et solennel, les mélomanes ont pu applaudir les jeunes lauréats de l’Académie Orsay-Royaumont. Choisis pour leur complicité, les quatre duos chant-piano ont reçu tout au long de la saison 2018-2019, l’enseignement de grands maîtres tels Véronique Gens, Bernarda Fink, Helmut Deutsch ou Stéphane Degout présent dans la salle.
Alex Rosen et Michal Biel au piano ont ouvert le bal avec Der Nöck, ballade bien sentie de Carl Loewe. La basse est assurément un conteur qui ne manque pas de courage pour escalader l’Everest avec Erlkönig de Schubert. La voix manque encore d’homogénéité et peine à caractériser les quatre voix sans recourir aux expressions peu subtiles du visage. Gruppe aus dem Tartarus impressionne avec quelques brutalités au piano. Marielou Jacquard a choisi des Schubert moins exposés où le charme de la voix opère sans difficulté grâce à une bonne articulation et une longueur de souffle appréciable. La mezzo trouve toute la justesse dans Les histoires naturelles de Ravel délectable avec le piano sensible de Kunal Lahiry, un brin en retrait. Le texte est chanté avec style et éloquence et ce léger détachement très bien senti. La complicité entre Jean-Christophe Lanièce et le pianiste Romain Louveau est palpable. Avec des phrasés délicats, le duo dialogue en mélodistes accomplis dans Le promenoir des deux amants de Debussy où se devine un Pelléas. A Chloris de Reynaldo Hahn en apesanteur pourrait gagner encore plus de langueur pour nous emmener très haut comme dans l’Invitation au voyage de Duparc chanté avec naturel et surtout avec Art.
Célia Oneto Bensaid et Marie-Laure Garnier forment l’autre duo indissociable, tant elles semblent complémentaires dans l’approche des mélodies admirablement choisies. Rarement entendu en récital, le cycle des Trois fables de La Fontaine d’André Caplet est un petit bijou surtout lorsqu’il est interprété comme ici avec une telle intelligence du mot et de la note. La soprano dotée d’une grande voix expressive aux graves et aux aigus impressionnants sait admirablement « alléger » pour incarner les mots de La Fontaine ou ceux de Guillaume Apollinaire. Les Banalités de Poulenc réservent des effets de surprise bienvenus avec des ruptures de ton où l’on a également apprécié les grandes artistes.
De belles promesses et de nombreuses confirmations sont venues embellir cette soirée magnifique suivie d’un joyeux after. Les spectateurs mélomanes en herbe se sont rassemblés autour des chanteurs professionnels (rapidement rejoints par Stéphane Degout) pour entamer quelques airs populaires de Piaf ou Brel. A Royaumont, on y chante !