Ercole amante, résurrection événement à l’Opéra Comique
Avec une programmation inattendue, l’Opéra Comique s’impose comme la salle la plus surprenante et excitante de tout l’Hexagone. Avec Ercole amante de Cavalli, elle vient d’exhumer le chaînon manquant de l’opéra français. Un événement ! Explications…
C’est l’un des événements les plus attendus de la saison parisienne. Ce lundi 4 novembre 2019, l’Opéra Comique vient de lever le voile sur la nouvelle production d’Ercole amante de Cavalli et réalise la jolie performance de s’adresser tout à la fois aux mélomanes les plus exigeants comme à un large public venu se divertir.
Commandée par Mazarin à l’occasion du mariage de Louis XIV et de l’infante d’Espagne, Ercole amante est une œuvre majeure qui a jeté les fondements de l’opéra baroque français. En 1659, le cardinal fait appel tout naturellement au plus grand compositeur de son temps, le vénitien Pier Francesco Cavalli. En digne héritier du pionnier Monteverdi, la superstar d’alors trouve à Paris les moyens financiers de réaliser son chef-d’œuvre qui voit le jour le 7 février 1662 dans la Salle des Machines du palais des Tuileries. Un brillant librettiste, seize chanteurs éminents, une machinerie spectaculaire, absolument tous les éléments sont en place pour le plus grand des succès. Et pourtant, dix-sept représentations plus tard, l’opéra disparaît à tout jamais de la scène française (exceptée une unique tentative de résurrection au Théâtre du Châtelet en 1981, au siècle dernier) sans doute parce qu’il ne correspond pas au goût du moment, le ballet de cour. L’ambitieux Lully sait bien que pour plaire, il faut faire danser le jeune Louis XIV. Il propose donc d’insérer dans l’opéra de Cavalli un « Grand Ballet du Roi » avec ajout de dix-huit entrées musicales. On ne pouvait rêver plus beau travail de sape ! Des six heures de spectacle, la cour ne retient que la musique de l’italien naturalisé français depuis 1661. Sa route est désormais toute tracée. Lully retient bien la leçon du grand maître Cavalli et lorsqu’à son tour il compose des « tragédies lyriques » quelques années plus tard, il se souvient de bon nombre de numéros impressionnants comme des scènes de sommeil, de tempête, scènes aux enfers, lamenti, etc. entendus dans Ercole amante.
Hercule bestial et séduisant
La musique de Cavalli idéalement défendue par Raphaël Pichon à la tête de l’orchestre et du choeur Pygmalion déborde de beautés instrumentales. Les plus érudits songent à de nombreuses scènes vues dans les opéras de Lully bien sûr mais aussi Haendel, Purcell et même Rameau ou Gluck, avant de mesurer qu’ils sont ici à la source de tous ces grands moments d’opéra. Le chef séduit facilement l’oreille qui jouit en plein de ses atmosphères variées et contrastées. Il a un plateau vocal de très grande qualité et surtout cohérent.
Les amoureux contrariés Jole et Hyllo sont interprétés avec grâce par Francesca Aspromonte et Krystian Adam. La véhémence sied bien à la grande mezzo Anna Bonitatibus qui habite le rôle de Giunone avec panache. Mise en valeur dans le triple rôle de Venere, Bellezza, et Cinthia, Giulia Semenzato existe facilement malgré un instrument plus en retrait. En Dejanira l’épouse trahie, Giuseppina Bridelli est exemplaire d’implication, de beau chant et de puissance tant émotionnelle que vocale. On retrouve la même assurance chez Luca Tittoto qui dans deux rôles moins exposés impose ses personnages avec autorité. Ercole, le héros de la soirée s’appelle Nahuel di Pierro. Le baryton s’amuse à dessiner un personnage bestial de mufle autoritaire et libidineux avec une belle richesse de couleurs et un aplomb vocal paradoxalement très séduisants. Dans des rôles de caractère, l’on a plaisir à retrouver Eugénie Lefebvre et surtout l’expressif Dominique Visse qui ne semble plus chercher à dompter une voix qui part désormais dans tous les sens. A ses côtés dans le rôle du page, la voix encore un peu petite de Ray Chenez est bien jolie. Le contre-ténor pourrait prendre exemple sur son aîné en osant encore plus de folie.
Du grand spectacle
Sur scène, les metteurs en scène Valérie Lesort et Christian Hecq (Sociétaire de la Comédie Française) déploient des trésors d’ingénierie pour divertir les spectateurs. Le décor sobre de Laurent Peduzzi leur permet toutes les fantaisies. L’esprit du grand spectacle à machinerie du XVIIe siècle est respecté avec cependant un parti pris comique.
Plutôt que de tenter une difficile reconstitution historique, le couple a choisi l’option burlesque tout en respectant scrupuleusement les changements de décor et le livret où interviennent allègrement les dieux et les monstres, les morts et les vivants ! Nous ne sommes pas près d’oublier les apparitions de Vénus, de Cupidon ou de Neptune, la montgolfière de Junon, le monstre et le petit lapin d’Hercule ou la robe à traîne de Déjanire. Les costumes farfelus signés de la très inspirée Vanessa Sannino sont époustouflants. Les trois heures de spectacle où l’émotion n’est pas absente passent comme un souffle. Valérie Lesort et Christian Hecq n’ont pas oublié les purs moments d’opéra notamment lors des ensembles où la musique parle d’elle-même.
Avec cet Ercole amante de Cavalli tout en légèreté, l’Opéra Comique (en coproduction avec le Château de Versailles où le spectacle sera repris les 23 et 24 novembre) accompli un nouveau miracle avec la résurrection d’une œuvre fondamentale, l’un des grands temps forts de la saison internationale à découvrir de toute urgence !