Mensonges et vérités au Teatro Real de Madrid, La ciudad de las mentiras !
La création contemporaine est au coeur même d’un art lyrique que l’on considère à tort comme moribond. Les maisons d’opéra n’ont jamais cessé de passer commande aux compositeurs de leur temps. Au premier rang des incitateurs, Gérard Mortier a été à l’origine de nombreux projets, notamment pour la dernière institution qu’il a dirigée, le somptueux Teatro Real de Madrid. Après le grand succès remporté par El Público de Mauricio Sotelo en 2015, nous attendions avec impatience ce tout nouvel opéra, La ciudad de las mentiras composé par Elena Mendoza sur un livret de Matthias Rebstock d’après Juan Carlos Onetti. Au sortir de la représentation du 21 février 2017, force est de constater que le miracle ne s’est pas reproduit cette fois.
Quatre femmes tentent d’échapper à leur destin en se réfugiant dans cette ville des mensonges. La première est l’initiatrice qui convoque un metteur en scène pour recréer son monde de rêve. La seconde se venge d’un mari traître en lui envoyant des images d’elle obscènes. La troisième semble revivre à l’infini son mariage avec un époux défunt. La dernière enfin possède une valise pleine d’histoires qui plonge son entourage dans la plus grande perplexité (comme le spectateur). Avouons-le, l’imbrication des scènes n’aide pas à la compréhension. Peu importe, il est parfois agréable de se laisser envoûter par un univers abscons. Le problème ici est que l’on n’est que très rarement porté par l’émotion. Quelques belles images restent de ce spectacle comme la longue robe de mariée qui tombe en continu du balcon ou les vêtements de l’exhibitionniste qui pleuvent des cintres.
Certains personnages privés de voix...
La compositrice Elena Mendoza et le librettiste Matthias Rebstock sont pourtant partis d’une bonne idée. En offrant un cadre ouvert aux interprètes, les musiciens qui évoluent sur scène sont également chanteurs et acteurs. La forme opératique ainsi libérée propose autre chose tout en restant dans les codes. Hélas, le personnage de la mariée, a priori le plus émouvant, ne chante pas car il est incarné par une violoniste (Anna Spina). De même, une accordéoniste (Anne Landa) incarne la femme aux histoires. En privant leurs personnages de voix, les auteurs ne construisent pas de passerelle entre le spectateur et l’histoire (à moins de bien connaître l’œuvre de Juan Carlos Onetti ?). L’attention se porte alors sur les à-côtés comme sur le personnage secondaire du barman, véritable show-man (Tobias Dutschke).
Le décor reprend un peu le principe de La défense d’aimer, vu ici la saison dernière. Plusieurs plateaux reliés entre eux par des escaliers offrent différents cadres et permettent aux acteurs d’évoluer de manière fluide. En frappant sur tout ce qu’il a sous la main (verres, plateau d’argent, assiettes, nappe !) le barman percussionniste nous offre des bons moments de musique du réel. Les sonorités d’Elena Mendoza dessinent un vrai univers (défendu par Titus Engel à la direction orchestrale) qui manque parfois d’une charpente. En passant trop rapidement d’un univers à l’autre, l’auditeur n’a pas le temps d’apprécier certaines belles phrases comme celles écrites sur la longueur du souffle des chanteurs, paradoxalement trop courtes !