Myung-Whun Chung et Seong-Jin Cho, les retrouvailles à la Philharmonie de Paris
Toutes les occasions sont bonnes pour se rendre à la Philharmonie de Paris. Lorsque le jeune et talentueux lauréat du Concours Chopin 2015 retrouve son chef préféré, l’on s’attend au meilleur. Compte-rendu…
Seong-Jin Cho, le pianiste lauréat du concours Chopin 2015 nous le confiait récemment : « le Maestro Chung est mon chef d’orchestre préféré. J’aime sa concentration, sa profondeur, son humanité. » À l’occasion d’un concert à la Philharmonie de Paris, le 1er février 2019, le jeune artiste a retrouvé Myung-Whun Chung à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio-France (dont il est Directeur Musical honoraire) dans un programme tout Tchaikovsky avec à l’affiche, le premier concerto pour piano et la symphonie No. 6. Les deux grands chefs-d’œuvre du compositeur russe représentent un Everest incontournable où les références pourraient être écrasantes, surtout pour un soliste de 24 ans.
Le premier concerto de Tchaikovsky, un passage obligé
Passée l’attaque franche des premières notes, chef et pianiste sans partition sous le nez nous emmènent dans un tempo subtilement alangui où se devine la recherche d’une construction. Nous n’emprunterons pas les chemins de la démonstration technique mais plutôt ceux de l’interprétation réfléchie, quitte à contenir le clinquant. Le pianiste à la virtuosité impeccable apporte une grande variété de couleurs encouragée par le Maestro Chung, à l’unisson dans l’équilibre et le contraste. Sage en apparence, le chef couve le feu et lorsqu’il le doit, fait exploser l’orchestre qui sonne admirable dans la géniale acoustique de la Philharmonie de Paris.
Le perlé délicat de Seong-Jin Cho fait merveille dans le deuxième mouvement qui sonne étonnement pré-debussyste sous ses doigts. Dans le dernier mouvement Allegro con fuoco, le Maestro Chung, le Philharmonique de Radio-France et le pianiste marchent main dans la main dans une tension très maîtrisée. C’est en jouant sur les contrastes et avec une fougue contrôlée que l’allant plus rapide du mouvement révèle l’architecture de cette interprétation brillamment cérébrale. Un seul tout léger regret cependant, après les applaudissements fournis le pianiste a offert un seul et merveilleux Debussy en bis, nous laissant sur notre faim ! Mais la suite du concert était attendue.
Sabotage du dernier mouvement de la symphonie
Avec la symphonie « Pathétique » de Tchaikovsky, Myung-Whun Chung est resté dans la même lancée que le concerto. Son geste ample souligne les contrastes qui portent plus sur une irisation des couleurs que sur des oppositions marquées. Dans le premier mouvement fort réussi malgré d’infimes décalages, le Fatum explose avec des cuivres clairs dans l’émotion contenue. Le deuxième mouvement Allegro con grazia se prête aux fluctuations du chef qui l’aborde réellement allegro comme pour préparer la partie suivante. Autre pulsation de vie enchâssée entre la tristesse et le renoncement des premier et dernier mouvements, l’Allegro multi vivace a séduit le public qui a manifesté son enthousiasme en applaudissant spontanément à la fin. Mais pour tous les mélomanes, la dernière partie déchirante est la plus attendue.
L’on sait depuis Leonard Bernstein que le tempo Adagio lamentoso peut s’étirer à l’infini pour exprimer encore plus de pathos. Le chef reste sur un admirable legato. Son tempo vivant s’adapte aux plages mélancoliques avec des effets de ralentis saisissants. Il nous offre une vision crépusculaire et paradoxalement brillante. Alors que les spectateurs s’étaient tus à la fin du premier mouvement du concerto, l’un d’eux a gâché les dernières notes de la symphonie par un applaudissement intempestif aussitôt couvert par des « chuts » sonores. La note bleue s’est évanouie, hélas ! car l’émotion était à son comble.