Illia Ovcharenko, l’affirmation ukrainienne d’un pianiste d’aujourd’hui
Il avait séduit les festivaliers de Gstaad et ceux d'Auvers-sur-Oise. Le jeune pianiste Illia Ovcharenko part maintenant à la conquête de Paris avec, au programme d’un récital virtuose, des compositeurs ukrainiens. A-t-il fait le bon choix ? Réponse…
« De découverte en découvertes », tel pourrait être le titre à mettre en exergue du concert du 18 décembre 2024 donné à Paris, Salle Cortot. Porté par le Festival d'Auvers-sur-Oise et dans le cadre de la série les Pianissimes, le jeune pianiste Illia Ovcharenko a bénéficié d’un regroupement de forces vives et d’un alignement de planètes favorable pour présenter en récital le programme de son CD « Litany ». À 23 ans, l’artiste qui possède une personnalité déjà bien affirmée continue de se faire connaître et apprécier du public parisien. Loin de le desservir, le choix d’un programme audacieux aura permis de se familiariser avec des compositeurs tels Sergeï Bortkiewicz ou Borys Lyatoshynsky, ukrainiens comme lui.
Rendre à l’Ukraine ce qui n’appartient pas à la Russie !
Pascal Escande, le directeur-fondateur du Festival d'Auvers-sur-Oise et Olivier Bouley, le directeur artistique de la saison et du Festival les Pianissimes sont montés sur scène pour présenter le concert qu’ils ont coproduit. Les deux hommes ont en commun d’être des découvreurs de talents et surtout, la passion de continuer à les soutenir. En suivant exactement le programme de son CD (paru chez DiscAuverS en novembre 2024), Illia Ovcharenko, jeune talent en résidence à Auvers en 2023, a présenté le fruit de son travail, Salle Cortot, encouragé par les équipes de l’institution parisienne. Le titre « Litany » est emprunté au Lied de Schubert« Litanei » D. 343, transcrit par Liszt qui ouvre le récital, comme l’enregistrement, par un hommage à « tous les trépassés… [pour qu’ils] demeurent en paix ». Le piano chantant d’Ovcharenko laisse entendre les paroles de Johann Georg Jacobi, pour qui les connaît, avec douceur et gravité. Comme lors du récital donné à Gstaad en août 2023, cette ouverture donne un indice sur un programme où la question politique s’invite subtilement dans un contexte dramatique, celui de la guerre dans son pays. Le choix de compositeurs ukrainiens par un artiste ukrainien n’est pas un acte militant en soi mais permet de rappeler que Prokofiev, figure majeure de la musique du XXe siècle est bel et bien né à Sontsovska, en Ukraine !
Illia Ovcharenko entre révélation, confirmation et grand piano !
Les pièces choisies de Sergei Bortkiewicz sont empreintes d’une douce mélancolie et lorsqu’elles sont joliment virtuoses comme l’Étude Opus 29 n. 3, rappellent Chopin que le compositeur admirait. L’interprète défend les œuvres avec un engagement sincère qui convainc, le son charnu emplissant facilement l’acoustique adéquate de Cortot. Hélas ! une pédale relâchée trop doucement trahit les notes bleues qui se trouvent bien souvent étranglées. Péché véniel tant Ovcharenko domine son jeu en se passant de partition. Les Préludes op. 44 de Borys Lyatoshynsky sont la découverte attendue. La musique profonde et virtuose étonne surtout servie par l’interprète précis et souvent puissant mais qui ne se laisse jamais aller à l’effet facile et tonitruant. Le piano intelligent se situe au juste milieu entre approche cérébrale et émotion pure. La Sonate n. 6 de Sergei Prokofiev, pièce la plus connue du récital, est attaquée très franchement, comme il se doit. Le rythme soutenu du 2ème mouvement montre à la fois la fantaisie et la maîtrise technique avant un 4ème sans esbrouffe qui impressionne. Deux pièces de Régis Campo, compositeur en résidence de l’opus 44 du Festival d'Auvers-sur-Oise, sont venues clore le concert. Starry night « hommage à Van Gogh » très sensible et vraiment superbe fait entendre les touches du pinceau comme autant de modelés du peintre tandis que la Toccata simpatica « Hommage à l’Ukraine » surprend avec un rythme primesautier, pensé comme une continuation naturelle de la Sonate de Prokofiev. En bis, l’ébouriffante Polonaise héroïque de Chopin, prise à toute allure emporte l’adhésion et l’admiration avant un dernier hommage à l’Ukraine et un court et virtuose Prélude de Levko Revutsky, natif comme le pianiste de Tchernihiv. Illia Ovcharenko confirme avec panache qu’il est déjà un artiste affirmé et toujours cette belle révélation à suivre impérativement de très près.