Orage sur Gand avec Rain d’Anne Teresa De Keersmaeker
Le mélomane connaît bien la Belgique pour ses Opéras de renom. C’est à Gand, la ville de l’Agneau mystique, qu’il se rend pour l’ouverture de la saison avec Rain de la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker dans l’orage. Compte rendu...
Les gouttes de pluie tombent sur la magnifique ville de Gand qui ouvre sa saison de ballet, ce mercredi 11 septembre 2024, avec Rain. Pour cette inauguration, Anne Teresa De Keersmaeker présente une de ses pièces majeures, créée en 2001 pour sa propre compagnie, Rosas à La Monnaie de Bruxelles. Au lendemain de l’enquête publiée par De Standaard, en juin dernier, recueillant les témoignages de “violences psychologiques et harcèlement” de plus d’une vingtaine de danseurs de sa compagnie et qui a provoqué de nombreux départs précipités dans ses équipes, son Œuvre vit toujours. En ce soir de fin d’été, ce ne seront pas les artistes de la compagnie Rosas qui danseront mais ceux de l’Opéra Ballet Vlaanderen. Le contexte est évidemment bien présent et terriblement pesant mais il serait injuste de mettre en cause la compagnie, les danseurs, les musiciens et toutes les équipes qui font entrer Rain au répertoire de l’Opéra de Gand.
Anne Teresa De Keersmaeker, Steve Reich, même combat !
Le scénographe Jan Versweyveld, à l’aide de cordes, habille la scène d’un rideau de pluie intriguant. Dix danseurs entrent en scène sur Music for 18 Musicians de Steve Reich, interprété dans la fosse par les musiciens de la Brussels Philharmonic, d’Ictus et quatre voix du Vlaams Radiokoor. Le compositeur new-yorkais est une source d’inspiration constante pour la chorégraphe belge. Dès 1982, avec Fase, Four Movements to the Music of Steve Reich, sa deuxième création, elle connaît le succès. Le style de Keersmaeker, qui s’est affirmé pour être aujourd’hui reconnaissable entre tous, est à l’image de la musique minimaliste de Reich, mathématique et répétitive. Les artistes qui prennent place sur scène, débutent une course circulaire explosive et infinie. La géométrie, la gravité et la pesanteur guident les corps, sans cesse en mouvement qui se frôlent, se lient et se rejettent tels des aimants qui s’attirent et se repoussent. Le grand Dries Van Noten signe les costumes simples mais justes, épousant les ondulations limpides de la chorégraphie. Ils occupent cependant un rôle clé dans la mise en scène en changeant de couleurs au fil des tableaux. Les tissus du beige au rose puis au bleu marquent l’évolution d’un cycle sans fin.
La ronde obsolète n’empêche pas la symbiose réussie
La chorégraphie apparaît fluide et évidente alors qu’elle témoigne d’une construction de mouvement très complexe. L’occupation de l’espace dans son ensemble est organisée et réfléchie. Là est toute la virtuosité de la pièce. La mécanique implacable de la musique de Steve Reich et la chorégraphie vive et répétitive d’Anne Teresa De Keersmaeker, intimement liées, permettent aux excellents musiciens, aux danseurs fervents et aux spectateurs de ne former plus qu’un. Portée par la transe, une bulle se forme dans l’Opéra de Gand pour un exceptionnel moment atemporel. Deux langages chorégraphiques se distinguent, l’un pour les danseuses, axé sur des rondes et l’autre pour les danseurs au sol qui tombent et se relèvent. Cette vision des genres, aujourd’hui obsolète, illustre le cycle de la vie avec la rondeur féminine et la verticalité masculine. La compagnie de l’Opera Ballet Vlaanderen brille d’évidence dans l’interprétation de Rain. Leur travail est tel qu’ils réussissent, au-delà de la technique et de l’effort artistique, à transmettre une émotion, leur émotion. Pour ne citer que quelques-uns des formidables artistes, Madison Vomastek, avec douceur et grâce, Morgana Capellari, avec sérieux et force, Lisa Mariani, avec sensibilité et intensité, tissent un lien intime avec Philipe Lens plein d’assurance et de charme. Les musiciens du Brussels Philharmonic et d’Ictus soudés avec la compagnie forment un ensemble solidaire et combatif dans une durée qui peut mettre tous les corps à rude épreuve. À la fin de la partition, les Pulses rompent le rythme et sortent les spectateurs en osmose dans leur cocon. Les danseurs franchissent le rideau de pluie sur un crescendo et le cycle peut alors recommencer. Les mouvements initiaux reviennent, les regards sont tournés vers l’audience, l’ouroboros se reforme. Did the Rain stop ? Serait-ce la fin d’un cycle sur scène, en coulisse, dans les studios et dans la vie ?
Avec une entrée grandiose au répertoire de l’Opera Ballet Vlaanderen, Rain est à découvrir à Gand jusqu’au 21 septembre, puis à Bruges les 23 et 24 octobre 2024 et enfin à Anvers du 22 au 26 janvier 2025.