De la mélodie, des songs et surtout du Lied à Heidelberg
Le mélomane qui apprécie les Lieder et la mélodie croit connaître toutes les destinations musicales où l’art subtil du récital est au programme. Grâce à Brahms et Thomas Hampson, il découvre une nouvelle capitale du chant. Explications…
Ce dimanche 16 juin 2024, vient tout juste de se clore la troisième édition du Heidelberger Frühling Liedfestival. Sur les rives du Neckar, entre Mannheim et Karlsruhe, Heidelberg est un petit havre de paix célèbre dans toute l’Allemagne et en Europe pour les ruines de son château qui surplombent la cité ancienne. En partie détruit par les troupes de Louis XIV qui souhaitait récupérer l’héritage de sa belle-sœur (la fameuse princesse Palatine), le monument a inspiré bon nombre de romantiques. La jolie ville reconstruite au XVIIIe siècle a été ensuite fort heureusement épargné par les bombes de la seconde guerre mondiale. Elle reste l’un des incontournables du tourisme outre-rhin. Avec d’illustres ambassadeurs comme Goethe, Eichendorff ou Heine qui l’ont célébrée dans leurs poésies qui ont inspiré tant de compositeurs, rien d’étonnant à ce qu’Heidelberg soit également une destination lyrique. Les mélomanes présents les 14 et 15 juin 2024 ont pu assister à quatre concerts très divers comme le récital d’une prestigieuse académie de chant.
Rayonnant, Thomas Hampson forme les futures stars
Le Heidelberger Frühling Festival reçoit depuis 1994 en mars-avril, les grands artistes internationaux. Dans un environnement aussi favorable à la musique vocale et à la poésie, Thorsten Schmidt, créateur du Festival et intendant depuis le premier jour, a toujours eu l’idée de réserver une place spéciale à la mélodie. C’est grâce au coup de pouce d’une personnalité emblématique qu’il peut désormais proposer en juin, le Heidelberger Frühling Liedfestival, extension naturelle de l’événement printanier. Les artistes du monde entier viennent défendre un art qui leur est cher comme Thomas Hampson, l’autre initiateur du projet. L’immense star américaine des Liedersänger tient son académie chaque saison depuis 2022, année du tout premier festival. Dimanche 15 juin 2024 à 11 heures, le concert de restitution est venu clore le festival 2024 dans l’allégresse alors même que les journalistes présents dans la magnifique Aula der Alten Universität Heidelberg (l’Auditorium de l’ancienne université) venaient d’apprendre la sidérante disparition de la soprano Jodie Devos, à tout juste 35 ans ! En écoutant les huit jeunes chanteurs et leurs accompagnateurs, il est difficile d’imaginer un autre avenir que le succès attendu sur scène. Des centaines de candidats ont postulé pour pouvoir bénéficier de l’enseignement du grand Hampson qui, toute la semaine, a mené des masterclasses ouvertes au public. Même si les élèves retenus ne possèdent pas tous le même niveau technique, le choix a été savamment effectué car l’ensemble reste très homogène. Brahms étant la figure majeure de 2024, les Lieder extraits du recueil de chants populaires bien connu, Des Knaben Wunderhorn ont constitué le cœur du répertoire augmenté de Lieder, mélodies et Songs signées Schumann, Strauss, Cornelius, Ullmann, Viardot, Lilli Boulanger, Poulenc, Rachmaninov ou encore de Falla, Rodrigo, Ginastera, Clarke, Stanford ou Isabel Mundry. Sans avoir pu assister au travail préparatoire, l’on imagine aisément l’attention portée sur l’attitude sur scène, l’entente avec le pianiste accompagnateur, le sens du mot dans la poésie et surtout la diction pendant ces séances de travail, ces points étant particulièrement remarquables.
Les élèves qui élèvent la voix ont de l’avenir
Il convient de juger ces jeunes artistes non pas comme de grands chanteurs affirmés mais sur le potentiel qu’ils dégagent. A cet exercice, nombreux sont ceux à pouvoir aisément prétendre à une carrière d’artiste lyrique à commencer par Leonie Paulus et David Kennedy. La jeune soprano autrichienne dotée de l’aigu straussien séduit immédiatement avec des moyens conséquents. Une fois le trac du premier passage vaincu, le baryton né à Galway en Irlande gagne en assurance avec un solide instrument qui le prédestine sans aucun doute aux rôles britteniens. Plus avancée dans la carrière, la soprano berlinoise Aiko Bormann accuse quelques fragilités qu’elle sait tourner à son avantage. Trente-quatre mélodies, songs, Lieder et duos ont été répartis entre les huit chanteurs permettant à la mezzo allemande Maria Tilibtsev, lauréate de plusieurs concours, de se faire remarquer à nouveau malgré un timbre pincé moins phonogénique que d’autres. Le choix est un élément particulièrement déterminant et celui effectué de concert avec les professeurs (Thomas Hampson mais également Susan Manoff et Elitsa Desseva) a été particulièrement bien fait ne mettant aucun des jeunes artistes en difficulté. Même si le mezzo de Luzia Ernst manque parfois de couleurs, elle vit les poésies qu’elle restitue avec intensité. En proposant « Lied » de la compositrice contemporaine Isabel Mundry, Catalina Geyer a pris un risque qui s’est avéré payant, la jolie mezzo munichoise ayant tiré profit d’une écriture qui convient parfaitement à ses moyens. Sina Günther et Michèle Bréant sont également de belles découvertes, le mezzo affirmé de la première et la légèreté du soprano de la deuxième n’appelant que peu de réserves sur une technique toujours perfectible. Même les plus grands chanteurs entretiennent leur instrument sans répit. Le travail est un facteur de réussite d’un récital avec l’accompagnateur adéquat. Le jeu très sûr d’Anna Gebhardt traduit déjà le métier et la maîtrise tandis que Lucas Huber Sierra a su séduire avec une sensibilité plus exprimée. Wan-Yen Li, troisième pianiste, semble plutôt prédestiné à une carrière de soliste, son maintien et les expressions de son visage ayant tendance à trop attirer l’attention. Alors qu’elle a pu suivre trois modules de formation (à Heidelberg en octobre et juin 2024 et salle Pierre Boulez à Berlin, en janvier 2024), la promotion 2023-2024 de l’académie de Lied a montré la qualité d’un enseignement qui fait d’Heidelberg une nouvelle passionnante capitale du chant.