Un temps pour Elles, les oubliées à Taverny
La curiosité n’est pas un vilain défaut lorsqu’elle pousse le mélomane vers la découverte de répertoires occultés. Dans le cadre enchanteur d’Un temps pour Elles, c’est dans l’église de Taverny qu’il a lié connaissance avec de sacrées compositrices. Explications…
Plusieurs définitions peuvent être données au doux mot de « progrès » comme le chemin vers un idéal commun où toutes et tous se retrouveraient à égalité. Un mouvement révolutionnaire a été amorcé, il y a quelques saisons déjà, de réhabilitation d’un large pan de notre patrimoine, de notre musique injustement ignorée, celle composée par une moitié de l’Humanité, les femmes ! Ces invisibles des siècles derniers n’attendaient que la percée d’un rayon de soleil dans la forêt masculine pour prendre la juste lumière. Après le travail de recherche des historiens et des musicologues, est venu « Un temps pour Elles* », génial festival où l’on passe avec enthousiasme de la théorie au concert. Lors de sa quatrième édition, le 9 juin 2024, dans la jolie Eglise de Taverny, les spectateurs enchantés ont pu découvrir les œuvres de Soo Yeon Lyuh, Charlotte Sohy, Vally Weigl, Rosy Wertheim, Henriëtte Bosmans et Marguerite Monnot.
Les Aventurières des partoches perdues
En lisière de la forêt domaniale de Montmorency, l’église Notre-Dame de l'Assomption de Taverny offre un cadre idyllique aux Val-d'Oisiens et aux quelques parisiens en balade. Au croisement des chemins, ils ont eu l’opportunité d’y assister à un concert de premier ordre dans l’atmosphère décontractée du festival avec, à l’issue, un verre échangé avec les artistes et les organisatrices de l’événement. Héloïse Luzzati, la directrice artistique multi-casquette, possède une énergie et une ferveur contagieuses et les mélomanes ne peuvent que lui en savoir gré. Grâce à son travail exemplaire, la musique des compositrices prend son avec des artistes qui partagent la même curiosité et la saine envie de transmission. Sous son label « La boîte à pépites » ont déjà paru trois coffrets de CD consacrés à Charlotte Sohy, Rita Strohl et Jeanne Leleu, une révélation à chaque fois ! (Un quatrième opus très attendu, Rita Strohl de nouveau, sort en septembre 2024). Hasard de la programmation à Taverny, une soprano et un jeune quatuor de musiciennes ont joué sur scène mais les collègues masculins sont bien évidemment présents lors des douze concerts que compte le festival. Parfait véhicule d’émotion, la musique classique ne saurait avoir de sexe, ni de nationalité ou encore moins de frontières. Le Quatuor Magenta a très opportunément ouvert le concert avec Yessori de la jeune compositrice d’origine coréenne Soo Yeon Lyuh, oeuvre de fusion qui associe le classicisme du quatuor avec les sonorités asiatiques. L’alto y introduit les trois mouvements d’une phrase, captivantes plaintes de notes longues. Un gong aux résonnances âpres intervient dans le second avant un final captivant où des duos alto, violoncelle puis violons semblent flotter entre deux mondes.
Faire œuvre d’utilité publique dans la musique classique
Les Méditations pour voix et quatuor à cordes de Charlotte Sohy ont été enregistrées par Marie Perbost qui devait les interpréter au Festival « Un Temps pour Elles » mais un empêchement aura permis à Armelle Marq, originaire de Taverny, de la remplacer. Sans doute desservie par l’acoustique réverbérée de l’église, les mots de la soprano traduisent la poésie sans toutefois se faire entendre. La voix parfois serrée dans l’aigu trouve son plein épanouissement dans les deux Songs of Remembrance composées sur des textes d’Emily Dickinson par Vally Weigl. L’écriture instrumentale offre une complexité sur laquelle l’élégante ligne vocale repose, toujours lisible. Armelle Marq séduit pleinement grâce à des demi-teintes et un grave plaisant. L’architecture solide du concert ne s’appuyant que sur des œuvres inconnues du grand public, les musiciennes enchainent sur une partie purement instrumentale avec le Quatuor de Rosy Wertheim et celui de Henriëtte Bosmans. Présentées par l’altiste comme proches de l’école de Vienne puis de Debussy, les pièces possèdent leur originalité propre qui convainc aisément le public attentif. Les quelques dissonances de Wertheim dans un allegro construit en fugue amène un intermezzo hypnotique, de toute beauté. L’attente debussyste fait sans doute regretter un son moins éthéré qu’espéré mais l’œuvre de Bosmans est elle aussi enthousiasmante. En bis, la soprano a rejoint l’ensemble pour entamer L’Hymne à l’amour immortalisé par Edith Piaf. Qui se souvient que la musique, jouée avec profondeur par les musiciennes, a été écrite par Marguerite Monnot ? Vivifiant, le Quatuor Magenta brille de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel avec un engagement évident. Les jeunes artistes sont une belle découverte. Comme les pièces entendues ce jour, les spectateurs partent avec l’envie de les entendre à nouveau pour retrouver l’émotion et la belle énergie qui régnait entre elles. Alors qu’elle partage avec passion ses géniales découvertes, Héloïse Luzzati par son travail salutaire devrait être reconnue d’utilité publique. Au XXIème siècle, la place des femmes dans la société étant toujours un sujet, la réhabilitation d’un répertoire passionnant trop longtemps occulté est un progrès qui doit se savourer comme une victoire sur l’obscurité. L’avenir incertain nous oblige à le faire maintenant !
*prochains concerts, les 15 et 16 juin à l’Abbaye de Royaumont puis les 22 et 23 juin au Domaine de Villarceaux.