Avec un Minus, le Ballet des Flandres ouvre le champ de la relève
La programmation toujours pointue et de qualité de l’Opera Ballet Vlaanderen pousse l’amateur de danse à aller découvrir une nouvelle chorégraphe et revoir les créations du grand Naharin. Sera-t-il conquis par la compagnie ? Réponse...
Dans la ville des diamants, Anvers, l’Opera Ballet Vlaanderen propose sa deuxième soirée de ballet de la saison 2024-2025. Le samedi 30 novembre 2024, soir de première, deux pièces sont à l'affiche. Field de Kristen Wicklund, présentée en création mondiale pour la compagnie et Minus 16 (créée en 1999), du célèbre Ohad Naharin. Quel est lien entre ces deux œuvres ? L’histoire est plutôt jolie car la canadienne Kristen Wicklund qui était auparavant membre de la compagnie revient aujourd’hui en tant que chorégraphe. Au cours de sa carrière de danseuse, elle a aussi dansé Minus 16. Mais ce n'est pas tout ! Wicklund qui a été l’interprète de nombreux chorégraphes tels que William Forsythe ou Crystal Pite, propose avec Field, une œuvre marquée par sa propre identité, que l'on prend plaisir à découvrir. Quant à Minus 16, pièce regroupant des extraits des différentes créations de Naharin, l’inventeur de la danse Gaga, offre aux membres du Ballet Vlaanderen l'opportunité de s’affirmer comme une compagnie majeure de la danse contemporaine.
Field ou le champ des possibles
L’on dit souvent que chorégraphe et danseur répondent à deux vocations bien distinctes. Un chorégraphe est danseur et accumule dans son corps les mouvements appris et répétés. Avec Field, Kristen Wicklund, directrice artistique du Ballet Edmonton au Canada, propose une ode à la danse contemporaine sur des bases de classique. Son spectacle commence par un solo, probablement issu d’improvisation guidée, alors que le public s’installe toujours en salle. Towa Isawe, en chaussons de pointes, capte toute l’attention grâce à son interprétation intense, dévouée à l’effort d’être seule sur scène dans le silence. Rejoint par Shane Urton, tous deux dans des costumes couleur chair presque invisibles, le duo s’anime en suspension dans des portés aux lignes brisées mettant en avant leur technique classique. Au fil de leurs élans, l’impressionnant décor d’Ivania Carpio, se dessine. De grands tableaux translucides descendent peu à peu pour former une grande porte. La pièce s’appréhende davantage dans le ressenti que dans la narration, volontairement trouble et erratique. La musique stridente essentielle pour créer l’atmosphère (Innerscape de Jean Delouvroy, Quatuor à cordes n° 8 de Chostakovitch et Sonate pour violon, Sz 117 de Bartók) est interprétée avec précision sur scène par les musiciens de l’Orchestre symphonique de l’Opéra Ballet des Flandres. Les costumes, signés par la talentueuse Irina Shaposhnikova, enveloppent avec parcimonie Austin Meiteen et Yannis Brissot de tissus aux reflets pétrolés. Ils offrent un pas de deux d’une sensualité d’autant plus appréciée qu’elle est trop rarement représentée par deux hommes. Autre moment marquant alors qu’il est difficile de l’imaginer, Nelson Earl dépeint une agonie de toute beauté grâce à une maîtrise totale de son corps et de sa technique. Kristen Wicklund a trouvé son vocabulaire. Certes, dans une continuité stylistique proche d’autres chorégraphes contemporains, son écriture lui est propre. Intrigante et surprenante, Field est une aventure qui révèle tout le talent de cette artiste canadienne. On ne peut qu’attendre avec impatience ses prochaines créations.
Le malaise s’installe et rend Gaga
La soirée intrigante se poursuit avec le chorégraphe de génie Ohad Naharin. Pendant l’entracte, Philippe Lens, excellent dans l’exercice, se livre à une démonstration de danse pleine humour, façon Chaplin. Enchaînements répétés sur musique traditionnelle israélienne, l’œuvre visuelle acclamée Echad Mi Yodea est toujours aussi prenante. À travers la diversité de la pièce et l’éventail des musiques choisies, allant de la techno à la musique latine, on ressent pleinement la formation des danseurs à la méthode Gaga. De plus, ils créent un lien privilégié avec le public, indispensable à Minus 16. Chaque artiste se livre via un enregistrement audio sur une anecdote personnelle de leur vie. Les spectateurs sont même invités à monter sur scène, où ils se laissent entraîner par les professionnels dans une ambiance chaleureuse et interactive. Le génie du chorégraphe réside aussi dans sa capacité à intégrer le malaise ou l’inconfort du public, transformant ces émotions en éléments à part entière de la création. Toujours imprévisible, la fin du ballet multiplie les surprises, jusqu’aux ultimes instants où le rideau se relève à nouveau. Le chorégraphe israélien procure autant de joie aux artistes qu’au public et cela est profondément apprécié. Le programme Field / Minus 16 offre une expérience étonnante et inoubliable, à découvrir à Anvers et à Gand jusqu’au 19 décembre 2024.