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Monaco dans la frénésie et l’effervescence avec la Carmen d’Inger

Monaco dans la frénésie et l’effervescence avec la Carmen d’Inger

Un incontournable de la bibliothèque du mélomane, Carmen de Bizet se décline à l’envie sur toutes les scènes du monde où renaissent de nouvelles Carmen, à chaque représentation. Quel visage prendra l’héroïne de Johan Inger à Monte-Carlo ? Compte-rendu... 

Anna Blackwell et Alvaro Prieto, Ballets de Monte-Carlo, Carmen de Johan Inger © Alice Blangero

Les Ballets de Monte-Carlo, à peine libérés des Sortilèges de Ravel montés sur scène en décembre 2023, retrouvent un enfant, cette fois témoin d’un drame dans Carmen. Ce samedi 30 décembre 2023 au Forum Grimaldi, Johan Inger présente sa vision du chef-d'œuvre de Bizet dans une chorégraphie interprétée par la troupe monégasque. Créée en avril 2015 pour la Compañia Nacional de Danza de España, alors sous la direction artistique de José Martinez (avant sa nomination à l’Opéra national de Paris), la pièce entre aujourd’hui au répertoire des Ballets de Monte-Carlo. Repéré par Jiří Kylián, le chorégraphe suédois, pour son premier spectacle narratif, choisit le point de vue d’un enfant face aux violences des hommes envers les femmes.  

Un voile noir pour un feu d’artifice de couleurs 

Jaeyong An, Ballets de Monte-Carlo, Carmen de Johan Inger © Alice Blangero

Dirigée de façon alerte par Manuel Covez, l’ouverture de Carmen de Bizet par l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo retentit dans la salle avant qu’un personnage jouant à la balle n’apparaisse seul sur scène. Il est admirablement interprété par Ashley Krauhaus. La danseuse s’affirme une nouvelle fois dans un rôle d’enfant depuis L’Enfant et les Sortilèges de Jean-Christophe Maillot présenté une semaine auparavant. Il sera le fil rouge de cette Carmen moderne inspirée plutôt de l’œuvre de Mérimée que du livret de l’opéra. La mort, représentée par des hommes enveloppés et masqués de noir (dans des costumes de David Delfin) surgit dès les premières minutes et le voile noir s'installe grâce aux lumières sombres de Tom Visser. Johan Inger, dans son écriture chorégraphique, sert la virtuosité des danseurs de la compagnie dès l’apparition des quatre chiens (Alexandre Joaquim, Lukas Simonetto, Daniele Delvecchio et Cristian Oliveri). Sauts et développés jaillissent sur la musique de Marc Alvarez en bande sonore qui s’immisce dans la partition de Bizet. Le contraste musical amène une touche de modernité agréable mais qui parfois perd l’auditeur. L’entrée de Carmen (Anna Blackwell) et des Cigarreras sur scène se fait dans une explosion de points colorés qui virevoltent dans une gestuelle à l’unisson. Suivant l’exemple de leur meneuse, les danseuses affichent séduction, assurance et envoûtement. L’on souligne le travail du dramaturge, Gregor Acuña Pohl, qui permet une incarnation naturelle des personnages par les danseurs. L'on ressent même un certain plaisir sur scène. Carmen jette son dévolu sur Don José, l’émouvant Jaeyong An, tiraillé même dans ses mouvements entre sentiments et devoir. Dans un solo, le geste saccadé militaire se superpose à une fluidité qui traduit le trouble amoureux. Il parvient aisément à incarner le chemin vers la folie par la précision de ses mouvements. 

Un enfant témoin du drame 

Alvaro Prieto, Ballets de Monte-Carlo, Carmen de Johan Inger © Alice Blangero

Dans le rôle de Carmen, la grande Anna Blackwell porte l’histoire en incarnant une gitane libre, en avance sur son temps qui ensorcelle avec son corps. Tout passe dans une danse qui traduit la grande maîtrise et le pouvoir de séduction. De l’usine de tabac à la fête, compris grâce aux ingénieux décors de Curt Allen Wilmer et Leticia Gañan, la sensualité de la belle met le feu et allume tous ceux qui se trouvent sur son passage, de Zúñiga (Alvaro Prieto) au Toréador gominé. Sur les notes d’un xylophone assez surprenantes, Francesco Resch livre une prestation à la hauteur de son rôle de matador idolâtré. La mort de Zúñiga (tué par Don José), très justement écrite par le chorégraphe dans un porté du corps inerte comme balancé par une houle, ne peut qu’émouvoir le spectateur. Brisé par l’entracte, le rythme de l’acte deux qui baigne dans la mort est ralenti. L’on retrouve les ombres masquées et l’enfant mais son point de vue n’est pas toujours facile à déceler. L’on comprend l’intention du chorégraphe surtout lors d'une scène onirique où Don José et Carmen sont représentés comme ses parents aimants. Johan Inger met en exergue la violence d’une œuvre, où l’Espagne est toujours fantasmée, dans un ballet énergique mêlant courses et combats dansés. Dans une création dûment aboutie, la Carmen du chorégraphe suédois prend vie comme une évidence et révèle l’éclat des danseurs des Ballets de Monte-Carlo dans cette œuvre qui leur sied à merveille.  

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