Fleuron des Arènes de Vérone, en grand la Tosca des 100 ans
Les mélomanes, plus qu’à l’accoutumée, avaient rendez-vous au Festival dell'Arena di Verona cet été 2023. La manifestation italienne fête son centenaire sur la grandiose scène en plein air avec des productions exemplaires, comme cette Tosca. Compte-rendu…
2023 restera comme la grande saison anniversaire du Festival des Arènes de Vérone. A l’occasion des 100 ans de la manifestation de légende, du 16 juin au 9 septembre 2023, se sont succédées sur scène les plus grandes stars de la scène lyrique internationale comme Anna Netrebko, Sonya Yoncheva, Jonas Kaufmann, Juan Diego Flórez, Roberto Alagna ou Ludovic Tézier (et bien d’autres encore comme Asmik Grigorian ou Elena Stikhina). Lors d’un long weekend enchanté tout début septembre, trois sopranos ont occupé la tête d’affiche prolongeant le caractère événementiel de cette saison particulière. L’ouverture du bal des trois divas s’est faite le 1er septembre 2023, avec la Tosca de la Pirozzi ! « 100 fois la première fois » annonce le Festival dell'Arena di Verona 2023 mais pour Anna Pirozzi qui a souvent enflammé la gigantesque scène de l’amphithéâtre romain, le retour à ce rôle emblématique possède un petit air de déjà-vu surtout parce qu’elle retrouve Freddie De Tommaso, son partenaire londonien de 2021.
Pirozzi et De Tommaso, une vie pour l’art et un trop plein d’amour
Au faîte d’une carrière fulgurante, la soprano italienne qui est une Abigaille (Nabucco) et une Lady Macbeth incomparable ne délaisse pas les grands rôles où les défis vocaux sont autres. La partition de Tosca est sans doute moins dévorante que celle des Verdi mais il ne suffit pas seulement de posséder une grande palette vocale pour incarner l’héroïne de Puccini, il convient également d’avoir du caractère. Première surprise, la soprano est intelligemment sobre dans un premier acte où elle se contente d’être naturelle avec talent. La mise en scène de Hugo De Ana lui permet même d’être drôle et c’est la deuxième bonne surprise de la soirée. L’espièglerie à la place des minauderies, après Gstaad où Sonya Yoncheva a endossé la tenue une semaine plus tôt, les Tosca se suivent et ne se ressemblent pas. Anna Pirozzi aborde son rôle en comédienne avec une savante utilisation de ses moyens vocaux (maîtrise des couleurs et des nuances). Point d’opulence ou d’exhibition ici, le « Vissi d’arte » est chanté sans chichi en s’inscrivant dans une histoire jusqu’au climax final et un « O Scarpia, avanti a Dio! » lancé à pleine puissance dans un très grand moment de théâtre. Freddie De Tommaso lui donne le change en Mario Cavaradossi même si le ténor ne s’avère pas être un grand styliste. Les points d’orgue rajouté pour tenir les aigus plus que nécessaire et un « E lucevan le stelle… » larmoyant ne sont pas déplaisants mais satisferont moins les mélomanes exigeants. Avec un vibrato marqué, l’étoile montante de 29 ans a tout l’avenir devant lui pour rectifier ses débords d’émotion.
Les bonnes surprises de la grande tradition
A l’opposé, Luca Salsi (magnifique baryton célébré sur les scènes internationales) compose un barone Scarpia très classique, d’un bloc. Même si la voix ne manque pas de couleurs, il est difficile de voir en lui la bête sanguinaire ou même de comprendre un personnage qui offre pourtant une belle complexité psychologique. Dommage qu’au moment de sa mort, un râle trop sonore ait suscité les rires du public plus que l’effroi, d’autant plus que la mise en scène de Hugo De Ana offre tous les outils nécessaires à la construction d’un caractère. Il arrive même à rendre spectaculaire l’œuvre résolument intimiste grâce notamment à l’utilisation bien vue de figurants aussi empêtrés que le Sacristain (Giulio Mastrototaro) ou à des mouvements de foule qui ne s’apparentent jamais à du remplissage pour occuper le vaste plateau. En découvrant cette production qui date de 2006, les possesseurs de jumelles seront émerveillés par les costumes traditionnels et même étonnés en découvrant une superbe nature morte sur le bureau de Scarpia, un luxe de détails inattendu. Il convient également de souligner le soin apporté à la distribution des seconds rôles où chacun possède la voix adéquate avec une mention spéciale pour Giorgi Manoshvili (Cesare Angelotti) et Carlo Bosi (Spoletta) convaincants. Comme avec la mise en scène, la direction de Francesco Ivan Ciampa est traditionnelle et pourtant toujours surprenante. Le chef souligne le drame sans jamais surgonfler son orchestre. La ligne est précise et cette conduite idéale est l’un des plus beaux hommages que l’on puisse rendre à la musique de Puccini. Une Tosca de grand répertoire, spectacle accompli qui se place dans la liste des œuvres à voir en priorité aux Arènes de Vérone.