Aida des 100 ans des Arènes de Vérone, plein la vue !
Le mystère a été préservé jusqu’au bout. Pour fêter son centenaire, le Festival dell'Arena di Verona a programmé son œuvre phare dans une toute nouvelle production. Avec la Aida 2023, les mélomanes sont sortis éblouis, au propre comme au figuré. Explications…
Les soirées se suivent et ne se ressemblent pas à Vérone. Après les débuts d’Asmik Grigorian, c’était au tour d’une autre soprano en vue (Elena Stikhina) de faire ses premiers pas sur le grand plateau de l’amphithéâtre romain. Alors que la veille et l’avant-veille, Tosca et Madama Butterfly ont évolué en terrain connu dans des mises en scène traditionnelles de Hugo de Ana et de Franco Zeffirelli, ce 3 septembre 2023, la modernité s’est invitée avec une nouvelle production d’Aida de Verdi. Les grands moyens ont été déployés pour un événement qui se devait de marquer les esprits. En cette saison anniversaire, le festival centenaire a donc laissé carte blanche à Stefano Poda pour concevoir un spectacle clinquant qui restera sans doute dans les mémoires de la prestigieuse manifestation italienne mais pas forcément pour de bonnes raisons. La plus grande scène d’opéra à ciel ouvert du monde avait-elle besoin de moderniser son image ?
Quand les néons remplacent les palmiers d’Aida
La question semble légitime car les mélomanes les plus férus, après avoir vu les productions, ne reviennent pas toujours à Vérone sauf pour des distributions exceptionnelles. Le festival est réputé pour l’aspect traditionnel de ses mises en scène qui peut parfois virer au conservatisme. Alors que la scène lyrique a évolué depuis les années 70 et l’arrivée des metteurs en scène de théâtre, l’îlot bien conservé par, entre autres, Franco Zeffirelli (qui a signé un bon nombre de productions légendaires) a connu quelques assauts pas toujours concluants. Un Nabucco sagement revisité par Arnaud Bernard a par exemple été remplacé cette saison 2023 par la fameuse mise en scène de Gianfranco de Bosio qui fait les beaux soirs de Vérone depuis 1991. Plus d’entre-deux avec Stefano Poda, sa vision du chef-d’œuvre de Verdi est esthétique et résolument différente. Un plateau nu où trône une grosse main articulée a de quoi décontenancer les habitués d’Aida mais la scène transparente et les gradins à l’arrière-scène illuminés ravissent l’œil. Les costumes stylisés en revanche ajoutent à la confusion car il est, dans un premier temps, bien difficile de savoir qui est qui, de nombreux figurants occupant l’espace sans cesse, vêtus presque à l’identique que les personnages principaux. Dans des poses expressives traduisant, semble-t-il, les sentiments des personnages , ils occupent toujours l’espace avec parfois des mouvements chorégraphiques trop basiques pour susciter un intérêt autre que poli. Mais ce que l’on retient surtout de cette Aida 2.0 est une débauche d’effets spéciaux très instagramables avec lasers et projecteurs qui envoient la lumière jusqu’aux cieux. Une Aida de l’image plus que du son, les machineries pour les fumées et les ascenseurs de scène sont trop bruyants et gênent régulièrement l’écoute.
Les paillettes des costumes moins brillantes que les voix
Est-ce pour couvrir les bruits parasites que Daniel Oren grossit le son de l’orchestre ? Alors que la veille, le chef usait de bien des raffinements pour envelopper sa Madama Butterfly, dans Aida, il lâche les chiens en appuyant les effets et en faisant ainsi ressortir l’aspect pompier du chef-d’œuvre de Verdi. Le contraste est d’autant plus saisissant qu’il a une Aida précautionneuse. Pour sa première fois à Vérone, Elena Stikhina nous gratifie de somptueux pianissimi qu’elle tient jusqu’à la quasi complète extinction du son. Elle ne force jamais la voix pour dépasser l’orchestre semblant parfois manquer de corps mais la prestation est remarquable pour qui préfère Margaret à Leontyne Price. Dommage qu’elle soit mal appariée avec un Radamès poussif. Angelo Villari semble bien fatigué dès le « Celeste Aida ». Même s’il tient sa partie de façon honorable et malgré quelques moments de beau chant, le ténor ne se hisse pas à la hauteur des trois autres têtes d’affiche. Si ce n’est Amonasro, les rôles masculins semblent bien en peine ce soir avec les routiniers Romano Dal Zovo (Il Re) et Rafał Siwek (Ramfis) dont les voix accusent maintenant leur âge. Dans la courte apparition du Messaggero, le ténor Riccardo Rados séduit à nouveau (comme dans Nabucco la saison dernière). Il est peut-être temps de lui confier des rôles d’envergure. Amartuvshin Enkhbat renouvelle l’exploit de donner vie à un Amonasro exemplaire de présence et de coffre. Sa voix de baryton, entendue ici même en 2022, possède tous les attributs pour les grands Verdi. Autre prestation brillante, Clémentine Margaine campe une Amneris de luxe. Peu aidée par son costume et la mise en scène, elle habite son personnage et malgré une petite baisse au début du deuxième acte, sa grande voix impressionne dans un final où elle en impose avec une autorité naturelle comme celle d’Enkhbat. Les belles voix de cette Aida du 3 septembre 2023 ont fait le spectacle lyrique. Stefano Poda responsable de la mise en scène, des décors, costumes, de l’éclairage et de la chorégraphie a mis des images dessus. Gageons qu’à la reprise de 2024, il aura retravaillé pour rendre l’émotion trop absente de son show éclatant qui laisse un souvenir mémorable mais mitigé.