Le Rossignol, un Py, Devieilhe et des mamelles au TCE
Le Théâtre des Champs-Elysées, Olivier Py et Francis Poulenc ont déjà une belle histoire en commun avec la réussite des Dialogues des carmélites. Pour un Py, Les Mamelles de Tirésias, c’est une autre histoire surtout couplées au Rossignol. Explications…
Le dernier Rossignol que l’on a vu chanter à Paris avait les traits de Natalie Dessay. En 1997, couplé au Pierrot lunaire de Schoenberg, les représentations de l’opéra de Stravinsky au Châtelet dirigées par Pierre Boulez avait un petit côté pénétré : « je rentre dans l’histoire de l’interprétation ! ». Œuvre bâtarde d’un Stravinsky d’avant le Sacre du printemps, Le Rossignol est une pièce trop courte pour ne pas être appariée. Sur le papier, l’univers loufoque des Mamelles de Tirésias de Poulenc semblait à l’antipode de cette fable sur la mort. Il fallait le génie d’un Olivier Py pour réussir l’union de la carpe et du lapin. Lors de la deuxième représentation du spectacle, le lundi 13 mars 2023 au Théâtre des Champs-Elysées, le metteur en scène a confirmé ses affinités avec Poulenc après l’inoubliable et marquant Dialogues des Carmélites. En plus de sa complice Patricia Petibon, il semble même avoir trouvé une nouvelle exceptionnelle muse.
Quand Devieilhe devînt un mari facétieux et Py coquin
Sabine Devieilhe qui était Sœur Constance des Dialogues en 2013, aborde les rôles du Rossignol et de Thérèse/Tirésias avec une aisance vocale qui flirte allègrement avec la perfection. La soprano sur les cimes du chant fait oublier les difficultés des partitions qu’elle survole avec évidence et une décontraction insolente. Aussi époustouflant que la voix, son talent de comédienne est particulièrement mis en lumière par Olivier Py dans une scénographie d’une grande intelligence. Secondé par son complice de toujours, Pierre-André Weitz, pour les décors et les costumes, il place l’action du Rossignol dans les coulisses d’une représentation des Mamelles de Tirésias que les spectateurs verront après l’entracte. Devieilhe incarne ainsi l’artiste qui entre et sort de scène dans la première partie puis les délirants Thérèse/Tirésias, dans la seconde où elle s’en donne à cœur joie dans le burlesque. Quelques interjections hilarantes finissent de construire un personnage haut en couleur tandis qu’une sobre chorégraphie donne un caractère irréel à son Rossignol. La mise en scène alterne le sombre (les coulisses) et les couleurs bigarrées (le Zanzibar) comme les deux versants de la création pyenne, d’un côté Thanatos avec une dimension poétique et mystique et de l’autre, Eros débordant d’images explicites (superbe vagin en néons et danseurs lascifs en string). Le cabaret de Miss Knife, le double féminin d’Olivier Py, offre un terrain propice au surréalisme d’Apollinaire (auteur du livret des Mamelles) avec déjà un dynamitage en règle de la question du genre.
La conduite des siècles de bout en bout
Jean-Sébastien Bou (L’Empereur de Chine transformé en acteur agonisant dans la première partie et bondissant mari de Thérèse affublé d’un tutu seyant dans la deuxième) à la fois tourmenté et débonnaire est toujours crédible. Entre ténor et baryton, il joue avec l’ambiguë des tessitures au service des oeuvres et du spectacle. L’impressionnante entrée de Lucile Richardot dans le costume de La Mort saisit plus encore lorsqu’elle chante les quelques phrases de sa partie avec ce magnifique timbre d’outre-tombe. La distribution vocale a été particulièrement soignée. Outre la toute relative déception avec Le Bonze et Le Gendarme (Victor Sicard légèrement moins audible que ses collègues), Cyrille Dubois, très à l’aise dans plusieurs rôles, amuse la galerie avec de beaux moments de chant (notamment Le Pêcheur). Comme son comparse Francesco Salvadori, Chantal Santon Jeffery et Rodolphe Briand ont la présence nécessaire pour réussir leurs numéros. Il est heureux de retrouver Laurent Naouri (Le Chambellan, Le Directeur de théâtre) en impayable meneur de revue avec des moyens vocaux qui restent solides. Emmené par François-Xavier Roth (en résidence cette saison au Théâtre des Champs-Elysées), ce festival de voix partage l’affiche avec les chœurs de Ensemble Aedes, impeccables, et surtout Les Siècles, la formation orchestrale se montrant admirable de bout en bout. Rappelons que Le Rossignol et Les Mamelles de Tirésias sont les deux premiers opéras de compositeurs particulièrement exigeants. Même si Stravinsky et Poulenc étaient contemporains, leur style (que l’on pourrait d’ailleurs conjuguer au pluriel s’agissant du grand Igor) très différent demande de la rigueur mais aussi beaucoup d’agilité. En différenciant chaque épisode, Roth fait preuve d’une aisance remarquable et participe en plein à la très grande réussite du spectacle qui fera, fort heureusement, l’objet d’une captation. « Faites des enfants » chanté dans le prologue s’applique merveilleusement aux artistes et leurs productions, surtout lorsqu’elles nous donnent comme ici, autant de plaisir !