Molière, Lully et Deschamps en majesté à l’Opéra Comique
Les écoliers connaissent tous Le Bourgeois gentilhomme de Molière, les mélomanes un peu moins la musique de la comédie-ballet de Lully. L’Opéra Comique ravive les mémoires et comble les attentes avec une nouvelle ancienne production. Explications…
Le voici enfin de retour à la maison ! Jeudi 16 mars 2023, le Bourgeois gentilhomme est revenu Salle Favart comme prévu, après avoir paradé un peu partout en France. Alors que la première série de représentations était programmée à Paris, la production de la comédie-ballet de Molière et Lully mise en scène par Jérôme Deschamps avec les Musiciens du Louvre a été reportée une première fois en octobre 2020, puis annulée pour cause de Covid. En attendant, la troupe a pu se balader notamment à Marseille, Montpellier, Bordeaux, Versailles, Lyon, Caen et Clermont-Ferrand avant de s’installer à l’Opéra Comique pour dix représentations à ne pas rater ! Bien rodée et pourtant pleine de fraîcheur, l’interprétation des acteurs a réservé quelques bonnes surprises et celle des musiciens, une de taille.
La fracture entre Minkowski et Langlois de Swarte
Marc Minkowski qui se partageait la direction avec Théotime Langlois de Swarte a fait une mauvaise chute entraînant une fracture puis l’alitement. Les cartes ont alors été rebattues pour offrir au jeune et talentueux chef d’assurer seul les représentations à la tête des Musiciens du Louvre, noble et excellente formation. Violoniste réputé parmi les plus doués de sa génération, Théotime est un artiste complet qui s’essaye régulièrement à la direction d’orchestre. Co-fondateur avec Justin Taylor du Consort, il se révèle ici comme un chef accompli pour ceux qui ne l’avaient encore jamais vu conduire un ensemble de son violon. L’ouverture volontaire est galvanisante et toutes les parties musicales (notamment la célèbre « Marche pour la cérémonie des Turcs » balancé, qui crée la surprise) explosent dans un espace pourtant discontinu. La comédie-ballet est un genre bien à part et typiquement français qui mêle au théâtre la musique, le chant et la danse. Le Roi en personne venait parfois y faire son petit effet et, à la création, Lully lui-même était sur scène dans le rôle du Mufti. Même si les vers parlés de Molière occupent la plus grande partie de la soirée, les musiciens et les chanteurs, intégrés à l’histoire, se font pleinement remarquer. Les saynètes interprétées par Sandrine Buendia, Nile Senatore, Lisandro Nesis, Jérôme Varnier et les danseurs sont toujours charmantes et opportunes. Jérôme Varnier impose sa voix de basse dans un répertoire qui lui convient parfaitement tandis que l’on décèle chez le haute contre Nile Senatore une voix faite pour la musique baroque française. Le chemin du jeune homme semble tout tracé…
Le gant du Gentilhomme Deschamps
La star de la soirée est bien évidemment Jérôme Deschamps alias Monsieur Jourdain, le grand Mamamouchi. Le rôle lui va comme un gant brodé mais au-delà de la performance de l’acteur, c’est le travail du metteur en scène aux multiples univers qu’il convient de reconnaître et de saluer. De la gouaille Deschiens au burlesque à la Tati jusqu’aux couleurs bariolées de ses opéras, tout l’héritage de Deschamps se retrouve ici. Dans un décor assez minimaliste, l’ancien directeur de la Salle Favart s’en donne à cœur joie avec des autocitations plaisantes. Les familiers de Comique retrouveront avec bonheur le cochon José du Domino Noir (mise en scène de Hecq & Lesort) dans un impayable numéro où tout est bon ! Le Te Deum de Charpentier, époque ORTF, s’invite dans la partition de Lully comme les borborygmes et onomatopées dans celle de Molière. Même si l’on pense souvent aux anciens de la Compagnie (les Moreau, Morel, Duquesne, Lochet, Saladin…), les acteurs sont truculents’ comme le maître de philosophie de Jean-Claude Bolle Reddat ou Pauline Deshons, Dorimène transformée en punching-ball malgré elle. Avec une voix haut perchée, Aurélien Gabrielli compose un Cléonte enfant gâté fort bien assorti à Vincent Debost, le valet Covielle à la fois bourru et filou. Son amoureuse Pauline Tricot (Nicole) force le trait et son rire mais comme tous les acteurs, elle donne allègrement la réplique. Guillaume Laloux est un fat Dorante comme il se doit et un maître de danse hystérique qui en rajoute dans son costume à plumes. La chorégraphie de Natalie van Parys, conforme à l’esthétique, marque cependant moins les esprits que les costumes de Vanessa Sannino. Le petit singe sur la tête du grand Mamamouchi nous regarde pour déclencher les rires. Mission accomplie, le Bourgeois gentilhomme de Molière, Lully et Deschamps est un divertissement royal, à ne pas manquer !