Le soleil de Glass resplendit à l’Opéra de Nice
Après des mois passés devant les écrans, les lamentations peuvent cesser car les spectacles reprennent et les grands événements avec... Impatients, les mélomanes se sont précipités à Nice pour voir en vrai la représentation du soleil et pour glorifier Râ. Explications…
Bertrand Rossi, l’enthousiaste nouveau directeur de l’Opéra de Nice nous l’annonçait en mars 2020, l’ouverture de sa saison allait marquer les esprits. Personne ne se doutait encore que le monde de la culture basculerait dans un chaos interminable. Les rendez-vous manqués se sont enchaînés reculant encore l’événement mais opportunément, une représentation du spectacle programmé (Akhnaten de Philip Glass) a pu être sauvée pour être diffusée en streaming et ainsi consoler les plus impatients. Malgré tout, une séance en visio, streaming, sur une Web TV, un ordinateur ou un grand écran ne saurait remplacer le spectacle vivant. Judicieusement, il a été décidé de reprendre la même affiche pour ouvrir la saison 2021-2022. Ce mardi 16 novembre 2021, les niçois et des mélomanes venus du reste du monde ont pu enfin découvrir l’opéra donné pour la toute première fois dans l’Hexagone, en présence d’un public. A une exception près, l’ensemble de la distribution s’est retrouvée sur le plateau mais cette fois en présence de la metteuse en scène qui n’avait pas pu faire le déplacement en 2020, confinée aux Etats-Unis.
Du virtuel au réel ou le retour en présentiel
Un triomphe a été réservé à Lucinda Childs présente en chair et en os aux côtés de ses artistes. Légende vivante de la chorégraphie, la grande dame complice de toujours de Philip Glass, a pu peaufiner un travail pourtant déjà abouti. Alors que sa vision esthétique était admirable en vidéo (le soleil tournant comme décor principal est toujours aussi stupéfiant de beauté), tout semble prendre sens sur scène. Par exemple, la superposition d’images diffusées sur deux rideaux placés devant et derrière les artistes offre une profondeur et permet même des effets 3D. La féérie est particulièrement envoutante dans les numéros de danse, magnifiquement interprétés par les neuf artistes issus du Pôle National Supérieur de Danse Rosella Hightower de Mougins et des Conservatoires de Paris et Lyon. Les tableaux hypnotiques s’enchainent plus beaux les uns que les autres pour illustrer la succession d’instantanés sur la vie du pharaon Akhenaton. Contrairement au metteur en scène Bob Wilson, troisième nom associé à la révolution Einstein on the Beach (le premier opéra de Glass créé en 1976), Lucinda Childs s’affranchit du statisme pour laisser évoluer ses chanteurs sur scène.
Un soleil, des stars et les astres favorables
Avec Fabrice Di Falco dans le rôle-titre, elle a trouvé un artiste à l’androgynie idéale (confusion des genres également vocale) pour incarner le héros mi-homme mi-dieu, un rôle majeur pour ce chanteur hors du commun et si attachant. Son visage diffusé en grand se superpose à celui de la chorégraphe qui assure les parties parlées. La magie des voix opère tout particulièrement dans les trios avec la mère et l’épouse d’Akhnaten. La bien-aimée soprano Patrizia Ciofi (que l’on avait une fois de plus admirée en Traviata à Liège en mars dernier) incarne une Reine Tye de grand luxe face à la Nefertiti de Julie Robard-Gendre. Le timbre chaud de la mezzo, plus noir, apporte un subtil déséquilibre qui sublime le très bel ensemble. Dans des rôles secondaires, il faut saluer Frédéric Diquero, un grand prêtre d'Amon remarqué avec Joan Martin-Royo (Horemhab). Vincent Le Texier n’a pas choisi un rôle qui met sa voix particulièrement en valeur mais chante très bien les aboiements d’Aye. L’écriture minimaliste de Philip Glass est assez complexe malgré son apparente lisibilité. Plusieurs langues ont été utilisées dont l’égyptien ancien, l’akkadien ou l’hébreu qui ne déstabilisent en rien le chœur de l’Opéra de Nice, remarquablement à l’aise. La direction de Léo Warynski semble plus timide face à un orchestre habitué au répertoire lyrique et symphonique traditionnel. Les musiciens relèvent cependant le pari haut la main mais semblent plus en retrait que dans le souvenir laissé par la vidéo. Le choix d’une œuvre aussi étonnante qu’Akhnaten de Philip Glass pouvait exposer Bertrand Rossi à toute sorte de commentaires. L’accueil chaleureux que sa production a reçu augmenté d’une standing ovation prouve non seulement qu’il a eu ô combien raison d’oser la nouveauté mais surtout qu’il a réussi un coup de maître en permettant à l’Opéra de Nice de faire son retour dans la cour des grandes maisons d’opéra françaises. L’aventure ne fait heureusement que commencer…