Explosions au Cadogan Hall de Londres
Le mélomane globe-trotter ne se lasse jamais de découvrir de nouvelles salles, de nouveaux artistes et de nouvelles interprétations. Certaines explosives ou raffinées renouvellent toujours l’intérêt comme au Cadogan Hall de Londres. Compte-rendu…
Un programme on-ne-peut-plus classique peut parfois réserver des surprises. Avec l’ouverture des Nozze di Figaro de Mozart, le concerto pour piano No. 3 de Rachmaninov et la deuxième symphonie de Brahms à l’affiche, le Cadogan Hall de Londres semblait jouer la sécurité pour satisfaire ses spectateurs mélomanes, ce mardi 23 novembre 2021. Ancienne église construite en 1907, la salle de Sloane Square située dans le quartier huppé de Chelsea accueille en résidence le Royal Philharmonic Orchestra depuis sa réhabilitation de 2004. Elle possède une acoustique assez enveloppante où se sont particulièrement illustrés le pianiste Jae-Hyuck Cho et le chef d’orchestre Antonello Manacorda.
Explosion du cocktail Rachmaninov
A la fois à l’orgue et au piano, la carrière de Jae-Hyuck Cho l’a amené de Séoul à New York et de Londres à Paris où il a enregistré un récital sur le célèbre orgue de la Madeleine, paru en 2019 chez Evidence. Le label français lui a renouvelé sa confiance pour capter son interprétation des concertos de piano de Rachmaninov avec Hans Graf et l’Orchestre National de Russie. Le troisième, chef-d’œuvre absolu du compositeur, est considéré à juste titre comme le plus difficile. La virtuosité attendue ce soir de concert où l’on joue sans filet est bien au rendez-vous. Les difficultés techniques sont abordées de front dans un jeu à la fois survolté et parfaitement maîtrisé (seules quelques rares notes forte manquent de nuance). Jae-Hyuck Cho reste concentré et très attentif aux indications de son chef pour donner une interprétation finalement très libre. Plutôt lyrique, la vision d’Antonello Manacorda offre un contraste assez saisissant, laissant parfois penser que les deux artistes ne jouent pas le même répertoire. Tournant définitivement le dos à tout romantisme, la folie de l’œuvre s’en trouve exacerbée. Les toutes premières notes du piano, très sages et comme retenues explosent bientôt droites et implacables jusqu’au dernier mouvement fait de ruptures, d’effets et d’une brutalité qui convainc son public.
Un Brahms raffiné ravive les goûts
Pendant au chef-d’œuvre de Rachmaninov, la deuxième symphonie de Brahms au programme du concert est l’un des piliers du répertoire orchestral. Sans aucun doute, tous les orchestres du monde ont déjà joué la musique inspirée du compositeur allemand. Ce n’est pas faire injure aux membres du Royal Philharmonic Orchestra de dire que la phalange n’a pas la même réputation que le London Symphonic Orchestra ou le London Philharmonic Orchestra. Même si les couleurs des instruments ne sont pas comparables, sous la baguette inspirée d’Antonello Manacorda, leur prestation a égalé les plus grands. L’approche simple et raffinée du chef d’orchestre pourrait rappeler Claudio Abbado (son mentor) mais dans l’interprétation voluptueuse où l’on devine l’amour des belles phrases orchestrales, une personnalité affirmée se ressent. Le premier mouvement vraiment magnifique met en évidence la finesse et le détail de l’orchestration. Le chef arrive à faire vivre un deuxième mouvement pas toujours passionnant en accentuant une mélancolie grâce à un tempo légèrement ralenti. Dans le troisième mouvement, une certaine ironie bienvenue pimente un orchestre chantant qui ne s’enivre jamais de trop de décibels. La tenue du dernier mouvement semble même exemplaire avec des attaques franches, communicatives d’un plaisir hédoniste. Les dernières notes tout particulièrement maîtrisées offrent une explosion capable d’enthousiasmer les mélomanes les plus blasés. Même avec les œuvres les plus entendues, les très bonnes surprises sont toujours possibles. Antonello Manacorda est un chef à suivre de très près comme le pianiste Jae-Hyuck Cho.