Au Festival de Martina Franca, la Griselda dominée par Raffaele Pe
Chaque saison, les yeux des mélomanes les plus curieux sont braqués sur la programmation du Festival della Valle d'Itria de Martina Franca. 2021 a été l’occasion de renouer avec le spectacle vivant en faisant plus ample connaissance avec Alessandro Scarlatti, Griselda et Raffaele Pe. Explications...
Le Festival della Valle d'Itria est mondialement connu pour être le grand rendez-vous des redécouvertes lyriques. Depuis bientôt 50 ans, les mélomanes curieux ont pris ici leurs habitudes car ils savent que chaque nouvelle saison leur réservera son lot de surprises accompagnées bien souvent d’émerveillement. La 47ème édition n’aura pas dérogé à la règle. Après un récital de Vivica Genaux et une Création de Haydn inattendue, les spectateurs présents ce 24 juillet 2021 dans la cour du Palazzo Ducale de Martina Franca ont pu découvrir et apprécier La Griselda, dernier opéra composé par un maître de l’opéra, Alessandro Scarlatti. L’œuvre qui a déjà fait l’objet d’enregistrements discographiques (dont le plus récent par René Jacobs chez harmonia mundi, en 2002) n’est pas exactement une nouveauté ni une complète redécouverte. Mais à l'occasion du 300e anniversaire de sa première, Alberto Triola, directeur artistique du festival a choisi de présenter une mise en scène dans la nouvelle édition critique confiée à Luca Della Libera et éditée par La Lira di Orfeo. Un travail d’orfèvre a été mené pour rendre justice à un compositeur trop souvent négligé et à sa musique qui renferme des trésors de beauté.
Scarlatti, Alessandro le grand
Avec naturel, George Petrou à la tête de l’ensemble La Lira di Orfeo impliqué et du superbe Coro Ghislieri trouve le ton juste pour exprimer les complexités d’une partition à la fois simple et savante. L’écriture d’Alessandro Scarlatti est en effet assez originale avec des airs à grand spectacle plus anecdotiques que la narration placée dans les récitatifs. Les musicologues s’accordent d’ailleurs à faire le parallèle avec les raffinements des futurs opéras mozartiens. Le livret d’Apostolo Zeno d’après Boccace a été souvent utilisé (notamment par Albinoni, Bononcini et Vivaldi) mais Scarlatti l’a passablement modifié en introduisant d’autres personnages. L’intrigue repose principalement sur le couple que forme le roi Gualtiero et son épouse Griselda, une simple bergère. Le cruel monarque met à l’épreuve l’héroïne notamment en la répudiant et en épousant une autre femme. La metteuse en scène Rosetta Cucchi avait un matériel évident pour actualiser l’histoire en dénonçant un patriarcat avilissant. La voie empruntée est surtout symbolique, laissant le spectateur qui ne possède pas tous les codes de lecture trop souvent sur le côté. Il faut reconnaître à Rosetta Cucchi le talent certain de savoir parfaitement illustrer les arias da capo par une remarquable utilisation des espaces.
Raffaele Pe tyrannise Griselda
Alors que l’opéra a été créé par cinq castrats et un ténor, en 2021, le choix bien compréhensible s’est porté sur un contreténor, deux sopranos, une mezzo, un contralto et un ténor qui apparaît sporadiquement. Moins doté que ses camarades, Krystian Adam promène son timbre magnifique dans seulement deux arias où il se fait facilement remarquer. Est-ce la transposition qui malmène les sopranos ? La jeune Mariam Battistelli qui incarne en parfaite comédienne la princesse Costanza est souvent mise en difficulté notamment dans la justesse mais c’est un soir de première... Dans le rôle-titre de Griselda, la grande soprano Carmela Remigio a fort à faire. La voix qui commence à accuser quelques duretés installe un sentiment d’insécurité. Il n’empêche qu’elle réserve aux spectateurs de beaux moments de grâce. Ottone, ami du roi et autre méchant de l’histoire, a les traits trompeurs de Francesca Ascioti. La jeune femme troublante et crédible dans le rôle travesti possède la maîtrise des vocalises et un timbre ambigu qui joue en sa faveur. Également très précise, Miriam Albano est une vraie mezzo-soprano au timbre chaud qui complète une distribution hétérogène dominée par Raffaele Pe. En parfait belcantiste, le contreténor italien se joue des difficultés avec une voix idéalement placée et des moyens admirables. La puissance des aigus impressionne comme l’incarnation du personnage pourtant affreusement détestable.
Malgré quelques réserves, les nombreuses qualités d’un spectacle à la hauteur de la réputation de Martina Franca ont su séduire les festivaliers, ravis d’avoir pu se familiariser avec la musique d’Alessandro Scarlatti et avides de découvrir ses autres opéras.