Bal magique à Orange
On compte en France quelques 300 fromages et sans doute davantage encore de festivals. La richesse du patrimoine français offre dans toutes les régions, des salles de concert et des scènes d’opéra de luxe où tout au long de l’été, les spectateurs du monde entier passent de merveilleuses soirées de musique classique.
Le célèbre théâtre antique d’Orange qui accueille depuis plus d’un siècle des représentations d’opéra, fait figure de doyen. Pourtant la saison 2013 des Chorégies d’Orange a connu quelques difficultés. En janvier, Raymond Duffaut, le Directeur Général du festival, était contraint de déprogrammer l’une des deux représentations du Vaisseau Fantôme de Wagner, les futurs spectateurs n’ayant manifesté que peu d’enthousiasme dans leurs pré-réservations. Et comme un malheur… Roberto Alagna souffrant, annulait son récital prévu le 19 juillet, quelques jours avant la représentation. Coups durs pour un festival qui tire ses recettes à 80 % de la billetterie.
La saison 2013 avait bien des attraits avec un mariage Wagner et Verdi, en cette année anniversaire de leurs 200 ans. Reste qu’avec une représentation de plus, Un ballo in Maschera de Verdi a trouvé son public d’amateurs d’opéra italien, de plus en plus majoritaire à Orange, de toute évidence (la saison 2014 sera d’ailleurs entièrement dédiée à Verdi avec Nabucco et le très attendu Otello de Roberto Alagna) !
Ramón Vargas sur scène
En ce 3 août 2013, aucun accident ou annulation n’est venu perturber la représentation. La distribution exceptionnelle réunissant un plateau d’excellents chanteurs a tenu toutes ses promesses ou presque. La seule déception est venue du baryton italien Lucio Gallo qui malgré une présence scénique évidente, se bat désormais avec ses aigus. Les festivaliers attendaient depuis longtemps les débuts de comédien à Orange de Ramón Vargas, habitués qu’ils sont à voir les plus grands ténors. Roberto Alagna, Marcelo Alvarez, Placidó Domingo, Vittorio Grigolo, Jonas Kaufmann… tous se sont produits au Théâtre antique d’Orange sans parler des Carreras, Pavarotti ou autres Alfredo Kraus ou John Vickers d’autrefois.
Aujourd’hui, Ramón Vargas est sans doute le plus discret des grands ténors avec une présence sur scène parfois effacée, préférant sans doute miser sur la voix plutôt que sur le jeu d’acteur. Une fois de plus, il a été un remarquable styliste, certainement le plus grand à l’heure actuelle avec une tenue vocale et une musicalité exemplaires. Le metteur en scène lui aurait-il donné des ailes ? il était parfaitement à l’aise dans le rôle du roi de Suède, bougeant sur scène comme rarement. Sa partenaire, la jeune soprano Kristin Lewis, possède une immédiateté et un certain panache. Même si l’aigu semble se perdre parfois, elle a bien tenu sa partie, osant les demi-teintes et nous réservant de beaux moments d’émotion.
Un ténor bien entouré
Le rôle travesti du page Oscar sied à merveille à Anne-Catherine Gillet, toujours parfaite et qui dans de jolis costumes signés Katia Duflot, ne manquait pas d’abattage. Sylvie Brunet est tout simplement époustouflante dans le rôle de la sorcière Madame Arvidson, aidée par la mise en scène qui lui réserve une entrée spectaculaire.
A la tête de l’Orchestre National Bordeaux-Aquitaine, Alain Altinoglu apporte à Verdi une touche contrastée évitant l’écueil facile de la démonstration orchestrale et du gros son. Le chef ose les douceurs et les explosions offrant une palette large et toujours intéressante même si parfois les solistes de l’orchestre ne suivent pas complètement leur chef dans l’hédonisme sonore.
Jean-Claude Auvray, à qui l’on doit plus de 160 productions, a déclaré que ce Ballo in Maschera serait la dernière mise en scène de sa carrière pour les Chorégies d’Orange, évoquant le peu de jours de répétition et le travail extrêmement intense. Sur scène, rien ne transpire des difficultés et l’on admire l’intelligence et le professionnalisme.
Le contexte choisi est historique, la partition retenue, celle du Ballo originel, le premier écrit par Verdi avant que la censure refuse l’œuvre, invoquant l’interdiction de représenter un régicide au théâtre (Verdi retouchera sa partition ensuite en changeant le nom des personnages). Le vrai Gustav III, roi de Suède évolue donc sur scène. Un grand rideau bleu, comme celui du théâtre de Drottningholm est d’ailleurs étalé sur le plateau, formant quasi tout décor. Quelques candélabres et des bancs serviront à poser les lieux, le metteur en scène travaillant dans une épure élégante. Des projections vidéo permettent de superbes images et des effets saisissants comme lors de la scène du bal où l’immense mur du théâtre antique se trouve entièrement rhabillé. Le drame intime est au cœur de la mise en scène de Jean-Claude Auvray qui s’adresse plus aux spectateurs cultivés qu’à ceux venus voir un show (lesquels ont d’ailleurs manifesté leur insatisfaction aux saluts). L’opéra s’ouvre par exemple, sur le roi déposant à l’avant-scène, une maquette du théâtre de Drottningholm avant de se faire couronner (il faut savoir que c’est le vrai Gustav III qui a fait bâtir cet opéra à Stockholm). Il est appelé à régner alors que les plaisirs artistiques semblent plus le soucier que les affaires de l’état, comme un autre Louis II de Bavière. La mort du roi sonne juste, offrant un moment magique avec la tombée d’un rideau de lumière noire sur le plateau comme dans une vrai salle d’opéra. Hommage à l’opéra et au théâtre antique, cette belle production serait-elle également un délicat au revoir de Monsieur Auvray à Orange ?