La Traviata nouvelle est arrivée
Le rôle des rôles pour une soprano, La Traviata est sans nul doute l’opéra le plus populaire de Verdi. En cette année de célébration, les productions se sont multipliées classant l’œuvre numéro un des opéras les plus joués sur toute la planète lyrique. Chaque mise en scène est un défi pour son auteur car elle est attendue par le mélomane qui, connaissant les émois de sa Violetta par cœur, tolère rarement un écart au livret. Et depuis le fiasco de la création le 6 mars 1853 à Venise, les productions se sont succédées, enchaînant le sublime et le trash, les décors surchargés, dépouillés ou quelconques ! Au cours de ce siècle et demi, les verdiens ont eu tout le loisir de crier au génie ou de conspuer les mises en scène, permettant parfois à certaines de rentrer dans la légende comme celle de Luchino Visconti avec l’éternelle Callas.
Au Festival d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence 2011 (en coproduction avec l’opéra de Vienne), le metteur en scène Jean-François Sivadier laissait Natalie Dessay faire ses débuts sur une scène française dans ce qui restera certainement comme le rôle de sa vie. Cette nouvelle Traviata est entrée depuis au répertoire de la célèbre institution viennoise remplaçant celle d’Otto Schenk, jouée plus de 280 fois depuis sa création en 1971.
Le travail de Jean-François Sivadier est désormais bien connu car, outre la captation d’une représentation sortie en DVD chez Vigin Classics en 2012, un reportage de Philippe Béziat « Traviata et nous » a eu les honneurs du grand écran. Le jeu de l’acteur est au centre d’un dispositif scénique dépouillé qui abandonne délibérément la surcharge des décors pour se concentrer sur le drame. On imagine toujours le public viennois conservateur et opposé à tout changement de la tradition, il n’en est rien. L’accueil réservé à cette production moderne le soir de la représentation du 15 mars 2013 a été unanime, un succès. Encore un pari gagné pour Dominique Meyer, directeur depuis 2010 qui avec intelligence et savoir faire renouvelle en douceur le répertoire d’une des plus grandes maisons d’Opéra du monde.
Marlis Petersen et Rolando Villazón
Natalie Dessay a certes marqué fortement cette production et même si comparaison n’est pas raison, il est intéressant de voir comment une autre interprète pouvait se fondre dans la mise en scène très exigeante qui fait énormément appel aux talents d’acteur des interprètes. Hélas trop peu connue en France, la soprano allemande Marlis Petersen suit un parcours exemplaire émaillé de succès dans Lulu, Konstanze, Zdenka ou Ophélie qu’on imaginait moins distribuée dans l’italianité de Traviata. Le choc a donc été plus grand encore d’une voix parfaitement conduite, se jouant des difficultés de la partition. L’actrice garde une petite retenue là ou une autre se consumait entièrement, offrant l’image d’une femme brisée et non pas ravagée. Les couleurs de la voix se chargent de faire passer les nombreuses et fortes émotions et l’on regrettera juste l’absence du contre-mi bémol (certes facultatif) que la soprano, grâce à la sûreté de ses aigus, pouvait largement offrir à un public conquis.
Pas de suraigu non plus pour Rolando Villazón dans l’air d’Alfredo mais pour avoir souvent chanté le rôle sur scène, le ténor ne nous a jamais habitué au contre-ut. Ce n’est un secret pour personne, la voix chaude du trop généreux Rolando a connu des difficultés et un énorme passage à vide faisant craindre le pire. Quel bonheur de le retrouver sur scène avec éclat. Certes, le timbre s’est assombri mais la voix est belle et bien de retour. L’acteur déborde toujours un peu mais peut-on reprocher ce trop plein d’engagement à une personnalité aussi touchante que Rolando Villazón ?
Fabio Capitanucci dans une routine
On regrettera en comparaison le jeu éteint de Fabio Capitanucci dans le rôle du père Germont. Le seul italien de la distribution doté portant d’une belle voix de baryton chante avec routine faisant de ses deux airs, des longs tunnels absents d’émotions. Il est vrai que la mise en scène ne lui offre pas beaucoup de possibilité d’expressions avec un costume le faisant plus ressembler au frère d’Alfredo, ce qui était déjà le cas à Aix. Avec trois grands rôles, la Traviata laisse peu de place aux comprimari, ne leur offrant pas d’arias. Lena Belkina dans Flora Bervoix, a tout le mérite de se faire remarquer en faisant exister sa partie grâce à sa voix chaude et son jeu efficace.
Mais une Traviata ne peut être réussie si derrière le pupitre ne se tient une baguette experte. Il est toujours à craindre qu’un chef ne se laisse emporter par ses effets de manche et par l’apparente facilité de la partition ou qu’il nous livre un verdi ploum ploum où l’émotion est cassée par trop d’exagération. Le chef milanais Paolo Carignani, déjoue ce piège. Est-ce parce qu’il dirige dans le pays de Mozart ? Il joue beaucoup plus sur les nuances que sur le contraste quitte à déconcerter. La beauté de l’orchestre, toute en discrétion, soutient les voix, les accompagne et finalement offre comme la mise en scène, une émotion pure débarrassée des scories.
Souvent la question est posée de la « grandeur » d’une maison d’Opéra à l’échelle internationale. Cette Traviata qui réunit une mise en scène moderne et réussie, un orchestre parfait et des chanteurs à leur zénith pourrait apporter une esquisse de réponse…