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Francesco Giambrone : "Le Teatro Massimo est le symbole de Palerme"

Francesco Giambrone : "Le Teatro Massimo est le symbole de Palerme"

C’est toujours un rare privilège de pouvoir rencontrer un Directeur d’Opéra surtout lorsqu’il s’agit du Sovrintendente du grandiose Teatro Massimo. L’Opéra de Palerme est le plus grand d’Italie et le troisième plus vaste théâtre lyrique d’Europe après le Palais Garnier de Paris et le Staatsoper de Vienne. Son histoire est jalonnée de temps forts qui ont fait sa renommée. Malgré une période sombre et une longue fermeture, l’opéra rendu aux Palermitains depuis 1997 jouit de nouveau d’un prestige international. Sans parler de sa parfaite acoustique, la variété de son répertoire, le choix pertinent de ses mises en scène et la qualité de ses grandes distributions comme hier avec Enrico Caruso, Maria Callas ou Renata Scotto, placent le Teatro Massimo parmi les plus enthousiasmants d’Italie. Contrairement à de nombreuses salles qui restent trop souvent figées dans un répertoire strictement italien, le Massimo fait figure de leader en affichant de belles propositions avec quelques prises de risque. La programmation qui mêle concerts symphoniques, danse, récitals et productions lyriques est à l’image de cette Sicile multiculturelle et ouverte sur le monde.

Francesco Giambrone nous a reçu dans son bureau juste avant la première d’une nouvelle aventure (les opéras Die glückliche Hand d’Arnold Schönberg et Le Château de Barbe-Bleue de Béla Bartók mis en scène par le duo ricci/forte). Malgré la pression que l’on peut supposer un soir de première, le surintendant jovial et tout à fait détendu nous a parlé avec une grande générosité et avec passion de son théâtre et de la nouvelle saison 2019. Moment exaltant dans la vie d’un opéra, le Teatro Massimo vient de nommer son nouveau directeur musical, l’attrayant jeune chef Omer Meir Wellber. De nouveaux rendez-vous s’annoncent, suscitant bien des envies. Les mélomanes curieux de découvrir de nouvelles beautés tiendront la promesse de revenir à Palerme. « O tu Palermo, terra adorata… »

Francesco Giambrone

Francesco Giambrone

Comment s’est faite la rencontre avec Omer Meir Wellber et pourquoi l’avoir choisi comme nouveau Directeur Musical du Massimo ?

Je connais le jeune chef depuis longtemps pour l’avoir rencontré il y a quelques années déjà et tout de suite il a capté mon attention. Dans un premier temps, je lui ai fait la proposition d’un projet étalé sur trois ans. L’idée était de monter trois opéras (un par saison) avec un propos et surtout, avec son approche personnelle. Il a été enthousiasmé et nous avons tout de suite évoqué des œuvres sans savoir si notre choix allait s’arrêter sur le répertoire russe ou allemand… Nous en sommes restés là en nous promettant de nous revoir pour en parler de nouveau. Puis, je suis allé à Dresde où je l’ai vu diriger Salomé de Strauss. C’était juste merveilleux. A la fin de la représentation, je lui ai rendu visite dans sa loge et lui ai proposé de devenir le nouveau directeur musical du Teatro Massimo. Il a répondu : « pourquoi pas !» (rires).

Outre son intelligence, sa finesse et bien évidemment parce qu’il dirige parfaitement, Omer a les qualités essentielles pour le Massimo. Il est curieux et il est prêt à relever tous les défis. C’est vraiment la bonne personne pour notre théâtre.

Il possède également la qualité de pouvoir mener à la fois une carrière de chef d’opéra et de symphoniste. C’est important pour Palerme ?

Très important car le chef accompagne l’orchestre dans son développement. Alors que son contrat n’est pas encore effectif, Omer assiste déjà aux auditions pour choisir les nouveaux musiciens. Il est très investi et souhaite faire progresser l’orchestre.

Quels sont vos projets avec Omer Meir Wellber ?

Je vous donne un scoop. Omer va diriger la trilogie Mozart-Da Ponte. C’est une co-production que nous montons avec La Monnaie. Ils ont eu une idée merveilleuse en confiant les trois chefs-d’œuvre au même collectif de metteurs en scène, « le lab ». Ceci va nous permettre de composer des cycles. Les spectateurs pourront voir Cosí fan tutte un jour, Le Nozze di Figaro le lendemain et Don Giovanni dans la même semaine et ainsi profiter de Palerme pour apprécier pleinement la ville et sa gastronomie.

Autre bonne nouvelle, nous allons annoncer notre prochaine saison en mars 2019. Je peux vous dire que notre nouveau Directeur Musical fera l’ouverture de l’année 2020 avec Parsifal dans une nouvelle production où nous retrouverons le metteur en scène Graham Vick après Siegfried et Götterdämmerung. Il y a bien évidemment plein de raisons de choisir Parsifal. C’est le dernier opéra de Wagner. Il a été composé à Palerme. Mais indépendamment de tout cela, nous avons choisi Parsifal surtout parce que c’est Parsifal !

Le contrat du Directeur Musical est signé pour combien de saison ?

Cinq en tout, de 2020 à 2024. Et ensuite, nous verrons...

Vous êtes né à Palerme. Est-ce un avantage pour diriger l’opéra de sa ville natale ?

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Oui, bien sûr ! Je suis d’autant plus fier d’être palermitain. J’ai vécu en Sicile toute ma vie excepté une période de cinq ans quand j’ai été appelé à la tête du Maggio Musicale Fiorentino. Et d’ailleurs, une partie de moi-même est restée à Florence avec Zubin Mehta et tous les acteurs de cette belle institution. Mais si je vous raconte ma vie, c’est pour vous dire que j’ai découvert le Teatro Massimo alors qu’il était en pleine activité. J’ai connu la longue période de fermeture (23 ans) et j’étais là lorsqu’il a réouvert en 1997. Je sais ce que cela signifie pour une ville lorsque son opéra est laissé à l’abandon, surtout un lieu aussi exceptionnel que celui-ci. C’était une véritable plaie béante et une blessure à vif pour la communauté. Vous comprenez qu’il est particulièrement important et émouvant pour moi de travailler pour cette institution.

C’est au Massimo que vous avez vu votre premier opéra ?

Oh oui ! Et je m’en souviens comme si c’était hier. C’était au début des années 70, j’avais 15 ans et j’ai vu La Traviata avec Renata Scotto. Inoubliable ! A l’époque, l’opéra était encore en activité. Il a fermé en 1974.

Sait-on pourquoi ?

C’est l’un des plus grands mystères de Palerme. Le Teatro Massimo n’a jamais subi de bombardement ou d’incendie. Il a fermé sans raison ou en tout cas aucune qui puisse expliquer vingt-trois ans d’interruption.

Parlez-nous du public...

J’ai la chance de connaître tout le monde. Le public est composé majoritairement de Palermitains et d’habitants de Sicile, Messine et Catane principalement. Depuis quelques saisons, les mélomanes étrangers viennent de plus en plus nombreux. Nous affichons souvent complet et il n’est pas rare que ce soit grâce aux visiteurs du monde entier. Il faut dire que Palerme est une destination incontournable pour les touristes même avant son titre de Capitale de la Culture 2018.

Qu’est-ce qui guide vos choix artistiques ?

Il me semble qu’il est très important de ne pas proposer seulement des œuvres du répertoire traditionnel. La curiosité est un moteur vital. J’ai un souvenir de mon premier mandat. Pour l’ouverture de la saison 2001 qui était une grande année Verdi (NDLR : centième anniversaire de la mort du compositeur), nous avons choisi Lulu d’Alban Berg qui n’avait jamais été présenté en Sicile. Nous avons estimé qu’il était plus important pour le public palermitain de découvrir ce chef-d’œuvre plutôt que d’assister à la énième représentation d’un opéra de Verdi. Bien sûr, cette année-là, nous avons joué Rigoletto, I Masnadieri dans une nouvelle édition critique et la Messa da Requiem dirigée par Zubin Mehta. Mais finalement, Lulu a été le plus gros succès de la saison. Le public de Palerme est très ouvert.

Ce soir par exemple, vous offrez une nouvelle production de deux opéras assez rares de Schönberg et Bartók. Vous avez confié la mise en scène à de nouveaux venus dans le monde lyrique. Le collectif de théâtre ricci/forte a fait ses débuts cet été à Macerata et a reçu le prix Abbiati (équivalent du Prix de la Critique en Italie). Est-ce que cela a motivé votre choix ?

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Il se trouve que c’est le Teatro Massimo qui leur a proposé de faire leurs débuts à l’opéra avant même qu’ils ne reçoivent le prix. Je connaissais très bien leur travail comme metteurs en scène de théâtre. Nous avons choisi les œuvres ensemble. Et alors qu’ils travaillaient déjà sur le projet, ils ont accepté de mettre en scène Turandot à Macerata. C’est un peu rageant mais depuis, bien sûr, « li ho perdonati ». (rire)

Comment se définissent vos choix des metteurs en scène ?

Comme pour ricci/forte, ce sont souvent les rencontres qui déterminent le choix. Cette saison, nous faisons l’ouverture avec Turandot confiée à Fabio Cherstich et AES+F. Ce groupe est un collectif d’artistes russes, vidéastes très connus dans le domaine de l’art contemporain. Ils cherchaient à explorer le domaine de la musique classique et nous leur avons proposé le chef d’œuvre de Puccini.

Cette même curiosité vous amène à proposer une mise en scène de l’oratorio de Schumann, Das Paradies und die Peri ?

C’est à mes yeux, la plus belle pièce composée par Schumann. Les deux metteurs en scène d’Anagoor ont remporté le Lion d’argent à la biennale de Venise 2018. Actuellement, ils sont en Iran pour filmer sur les lieux de l’action. Les images seront ensuite intégrées à la représentation.

Le Teatro Massimo possède également sa propre compagnie de danse ?

En Italie, avec Milan, Rome et Naples, seuls quatre opéras ont cette chance. Nous sommes très fiers de notre compagnie. Pour un grand théâtre, il est nécessaire également de disposer de son propre chœur et de son orchestre sans oublier les techniciens. Le Teatro Massimo possède également ses ateliers de costumes et de décors.

Quel est votre budget annuel ?

Nous avons un budget de 30 millions qui provient du gouvernement italien, de la Sicile et de la ville, sans oublier nos fonds propres grâce à la billetterie et aux visites. Tout le monde y participe !

Contrairement aux musées et aux sites historiques de Palerme fermés le dimanche après-midi, le Massimo lui, reste toujours accessible pour les visites guidées…

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Et ce, 365 jours par an ! C’est sans doute la décision la plus importante que j’ai prise lorsque je suis arrivé. Il fallait impérativement recréer le lien entre le monument, la ville et la communauté. Autrefois, avec une seule petite porte accessible sur le côté pour la billetterie, on avait l’impression que tout était tout le temps fermé. Aujourd’hui, les neuf portes de la façade accueillent les visiteurs. Et s’ils s’attardent sur les marches de l’escalier monumental, ils sont les bienvenus car c’est un espace public. Grâce à cela, nous sommes passés de 40 000 visites guidées par an à plus de 100 000 et au passage, nous avons récolté suffisamment de fonds pour pouvoir monter une ou deux productions en plus. On peut dire que le Teatro Massimo est le symbole de Palerme. Et combien de villes dans le monde peuvent se targuer de posséder un opéra comme représentant ? Seulement deux, Sydney et Palerme !

Le lien entre les Palermitains et leur opéra est palpable, non seulement grâce au travail que nous avons effectué ou aux productions que nous proposons mais parce que le monument leur appartient. Il fait partie de leur histoire. Comme vous le savez, le théâtre est resté fermé pendant 23 ans et lorsque que l’on y regarde de plus près, cette période correspond aux pires heures de la mafia. C’est n’est que mon opinion mais dans les années 70, elle était aux commandes. De très nombreux palais et demeures de style Art Nouveau ont été détruits. La célèbre Conque d’or, le petit port naturel de Palerme était entouré d’un magnifique parc qui a complétement disparu à cette époque où l’on a laissé se construire des immeubles modernes et sans aucun charme. Ces gens-là n’aiment pas la beauté.

Faites l’expérience quand vous visiterez le Massimo. Sur le toit, vous pourrez apercevoir la mer avec cette vue imprenable sur la vieille ville, la Cappella Palatina, la Cathédrale, le Palais Royal… C’est magnifique, superbe, émouvant mais quand vous tournerez la tête de l’autre côté, vous aurez un choc en découvrant la ville nouvelle. En 1992, l’assassinat des juges Falcone et Borsellino a marqué un tournant important dans la vie des Palermitains. A partir de ce moment, la communauté a réagi en disant, assez ! cela suffit ! nous devons dire stop à la mafia, à la criminalité pour enfin retrouver la beauté de notre ville. Et le Teatro Massimo a rouvert ses portes en 1997. Je pense que la petite histoire de cet opéra s’inscrit dans la grande.

Vous pensez qu’un directeur de théâtre peut avoir une responsabilité politique ?

Diriger une institution culturelle est un acte politique. Un musée, une bibliothèque ou un théâtre sont avant tout des espaces publics où la communauté se retrouve et se reconnaît. En ce sens, ma politique est d’ouvrir le monde à la beauté. Conduire une maison d’opéra, ce n’est pas seulement choisir des artistes ou quelques titres plus ou moins jolis, c’est quelque chose de merveilleux.

A propos d’artistes, Omer Meir Wellber a travaillé avec Jonas Kaufmann. Est-il prévu qu’il se produise à Palerme ?

Vous savez que c’est avec notre orchestre qu’il a enregistré son album Dolce Vita ? L’expérience a été fabuleuse car il a vraiment cherché à travailler l’esprit napolitain avec les membres de l’ensemble. Nous avons développé de belles relations avec les artistes grâce notamment au travail de notre casting manager. Ces liens sont précieux et nous continuerons à inviter les grands artistes. Il faudra revenir à Palerme...

Propos recueillis le 18 novembre 2018

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