Le mélomane aurait bien tort de croire que les manifestations culturelles d’importance n’ont lieu qu’aux quatre coins de l’hexagone (sic). En Outre-mer, la générosité des artistes fait bouger les lignes. Explications...

La France est une terre de Festival et sans doute l’une des plus importantes dans le monde. Chaque été, de nombreux lieux s’ouvrent à toutes les musiques et accueillent d’année en année les vacanciers et les spectateurs fidèles. Ce qui est une pratique commune en hexagone est en apparence plus difficile à réaliser en Outre-mer car il faut des moyens financiers dont les organisateurs ne disposent pas toujours. Certains décideurs continuent d’imaginer que la culture est un luxe et surtout qu’elle ne suscite qu’un intérêt négligeable auprès des populations. Il faut donc déplacer des montagnes pour installer un Festival ailleurs qu’en métropole et avant tout, braver les idées reçues. Contre vents et marées, le contre-ténor Fabrice di Falco et son compère contrebassiste Julien Leleu ont réussi à monter de toute pièce le Festival Filao dont la première édition vient d’avoir lieu à Saint-Pierre de la Martinique (du vendredi 20 au dimanche 22 décembre 2019).

Saint-Pierre renoue avec son passé lyrique

A proximité de la montagne Pelée, la ville qui - rappelons-le - fût la capitale économique et culturelle de la Martinique avant d’être entièrement détruite par une nuée ardente le 8 mai 1902, possède de nombreux atouts, le premier étant certainement l’enthousiasme de son maire. Mélomane sincère, Christian Rapha a ouvert les portes de Saint-Pierre pour accueillir la manifestation et tous les spectateurs comme à l’époque où le théâtre (réplique de l’Opéra de Bordeaux) était debout. Les amateurs de culture seront comblés par la découverte de ce petit Pompéi français, labellisé à juste titre Ville d'Art et d'Histoire avec notamment son passionnant musée-mémorial de la catastrophe de 1902. De nombreuses ruines qui côtoient les habitations ont été restaurées et mises en valeur. C’est le cas de la Cathédrale Notre-Dame-de-l’Assomption qui accueille une partie des événements du Festival Filao. Tout au long d’un week-end festif, les spectacles aussi différents que jazz, musique classique et traditionnelle, théâtre et poésie ont enchanté le public venu très nombreux pour profiter avant l’heure d’un beau cadeau de Noël car aucune de ces manifestations n’était payante (une volonté absolue de Julien Leleu et de Fabrice di Falco). Pour le contre-ténor né en Martinique qui a eu la chance de bénéficier de la générosité de ses pairs, il était naturel de rendre à son tour en offrant ces trois jours de festival.

Fabrice di Falco et ses amis allument le feu

Une passionnante conférence sur les grandes Divas de l’opéra aminée avec gourmandise par l’érudit Richard Martet (rédacteur en chef d’Opéra Magazine) a ouvert allègrement le bal. Le jazz s’est ensuite invité avec talent grâce au pianiste Ray Lema. L’artiste qui a su assembler les influences classiques de Bach aux sonorités congolaises, s’est construit un univers personnel envoûtant et séducteur. Le lendemain, le chanté Nwel de la tradition antillaise avec le groupe Ravine Plate est venu encore plus égayer Saint-Pierre. Le dernier jour, l’acteur Greg Germain (également passionné directeur du théâtre d’outre-mer en Avignon) a offert aux habitants de Saint-Pierre le double cadeau de sa présence sur scène et la primeur de son nouveau spectacle. Dans Voyage dans une mémoire, seul en scène, l’ami Greg se raconte sincèrement avec délicatesse et un détachement que l’on peut apparenter à une jolie pudeur. Il se dévoile sans doute beaucoup plus dans les textes d’Aimé Césaire, Victor Hugo, Édouard Glissant ou Patrick Chamoiseau qu’il fait vivre et ressentir avec brio.

Pour le concert de clôture, Fabrice di Falco a retrouvé la fibre lyrique d’un accompagnateur de grand renom, l’admirable Jeff Cohen. Pieds nus tous deux, ils ont enflammé l’assistance dans un programme Haendel, Mozart, Chevalier de Saint-Georges et Montsalvatge. Le contre-ténor est un artiste unique qui vit chacun des morceaux avec intensité et passion. Le don de soi passe aussi par le chant où l’on admire la pureté toujours renouvelée. Après tant de superbes moments partagés, la deuxième édition du Festival Filao est maintenant attendue avec impatience. Quelques surprises sont déjà annoncées mais l’attente faisant partie du plaisir...