Dietrich Fischer-Dieskau est mort, et après ?
Ainsi va le monde, les monstres sacrés disparaissent… On a appris la mort de Dietrich Fischer-Dieskau, vendredi 18 mai 2012. Il entre maintenant dans la légende.
Ainsi va la vie, le même jour, Donna Summer, tirait sa révérence. Les chaînes d’information en boucle se sont fait l’écho de ce seul événement, préférant la reine du disco à l’impérial Dieskau !
Tous les quarts d’heures, la même biographie tout en images nous rappelait le parcours de la diva sexy avec extraits musicaux à l’appui. Pas la moindre photo du baryton, pas même un message défilant annonçant son décès. Quand on imagine le nombre des nouvelles qui peuvent être traitées en 24 heures d’antenne, il semble bien paradoxal que l’information diluée sur les chaînes tout info soit si ténue. Les images phagocytent-elles le temps disponible ou est-ce un désintérêt de la rédaction ? Heureusement, il nous reste la presse écrite sans doute plus scrupuleuse à présenter l’actualité plurielle, où de nombreux hommages ont été rendus.
Car il est plus que normal d’évoquer Dietrich Fischer-Dieskau, ne serait-ce que sous un angle historique. Lorsque en 1962, pour la consécration de la nouvelle cathédrale de Coventry, Benjamin Britten compose son War Requiem, il écrit la partition pour Galina Vishnevskaya, soprano russe, Peter Pears, ténor anglais et pour le symbolique baryton allemand. Immédiatement après la guerre, Dietrich Fischer-Dieskau a été un des premiers à prôner la réconciliation grâce à la musique et à la culture. Dès 1955, il effectue une tournée aux Etats-Unis, imposant le récital de lieder dans la langue de Goethe. C’est également le premier chanteur allemand à s’être produit en Israël. Dietrich Fischer-Dieskau est un emblème, celui d’une certaine universalité de la musique au delà des politiques et des frontières.
Pourtant ceux qui ont eu la chance de le rencontrer se souviennent de sa modestie malgré cette allure altière que lui donnait sa grande taille. Lorsqu’en 1995, son épouse Julia Varady triomphait dans Nabucco à l’Opéra national de Paris, il se trouvait dans la salle déclinant les demandes d’autographes car il était un simple spectateur parmi les autres.
Le nom de Dietrich Fischer-Dieskau n’est sans doute pas connu par le plus grand nombre mais dès lors que l’on s’adonne à Schubert, à Mahler, à Bach, à Wolf, à Verdi et Wagner… c’est un incontournable. Toutes générations confondues, les mélomanes du monde entier connaissent cette voix d’argent, le timbre si particulier et surtout l’interprétation exemplaire. Les amoureux de Schubert reviennent toujours aux disques de DFD, ne serait-ce que pour comparer tel ou tel Lied. Son legs à la musique classique est incomparable. Il a enregistré quelques 400 disques et le plus extraordinaire est que la plupart sont considérés comme des références. L’intelligence et l’art du chant poussé à son raffinement ultime peut trahir le travail mais comme il le déclarait lui-même : « L'important est de découvrir la musique à travers les musiciens, et non les musiciens à travers la musique ».
Ce qu’il faut peut-être retenir de ce personnage hors norme est sa curiosité incessante. Grâce à cette volonté de partager la musique de façon quasi encyclopédique, on lui doit des découvertes inouïes à l’opéra comme au concert. Des chemins rarement empruntés sont devenus les grandes voies des générations suivantes. Grâce à ses élèves, l’art du chant de Dietrich Fischer-Dieskau perdure ( Matthias Goerne restant certainement aujourd’hui son plus digne héritier). Quant au public, le plus bel hommage qu’il puisse rendre à cette fantastique figure du chant classique, est de cultiver la flamme en gardant toujours cette soif de connaissance, la curiosité.