Quels compositeurs va-t-on fêter en 2025 ?
Chaque saison, les célébrations des compositeurs offrent aux programmateurs quelques bonnes idées. En 2025, ils auront sans doute le tournis car rarement année aura été aussi riche. Le champagne va couler à flot mais pour qui ? Réponse…
Comme en 2023 avec Maria Callas, l’année 2024 a porté ses fruits même s’il était facile de prédire une récolte des plus riches. Puccini, compositeur adulé qui remplit les salles d’opéra du monde entier a été célébré, comme il se doit, avec moult productions. Côté symphonique, Anton Bruckner a été également à l’honneur sans pour autant renverser les pupitres. Les grandioses œuvres orchestrales continuent de faire les beaux soirs des salles de concert avec peut-être la redécouverte de ses pièces de musique sacrée. Même si 2024 a été une belle année brucknérienne, ses symphonies font désormais partie du répertoire des plus grands et rares sont les chefs de renom à ne pas tenter l’aventure. Gabriel Fauré a bénéficié des recherches de la Fondation Bru Zane et fort heureusement, Smetana n’a pas été oublié ni à Prague, Brno ou Ostrava ni dans le reste du monde lyrique et symphonique. Le Concerto pour piano hors norme de Ferruccio Busoni a pu être redécouvert mais, excepté La Vestale, les opéras de Spontini se sont fait rares. Une petite déception va également pour Darius Milhaud, compositeur attachant qui attend toujours son heure…
Am stram gram, le compositeur de l’année est…
De mémoire de célébrant, 2025 est l’année la plus riche qu’il nous ait été donné de commenter. Strauss, Ravel, Bizet, Chostakovitch, Boulez et même Bach sont à la fête et il est à parier que, comme pour Puccini, certains n’auront pas besoin d’une année phare pour être sur toutes les affiches. La lumière est souvent braquée sur les mêmes grands noms alors qu’un bon nombre de compositeurs mériteraient que l’on s’attarde un peu plus sur leur parcours et sur leurs œuvres oubliées. En parlant d’oubli, nous manquons encore de recul mais il est clair qu’une révolution est en marche, pour le meilleur. Les compositrices sont sorties du placard grâce à l’effort conjugué des musicologues et des artistes qui se sont penchés sur les destins incroyables de ces femmes déconsidérées parce qu’elles appartenaient à l’autre sexe. Elles sont bien moins connues que leurs confrères mais méritent tout autant (et même certainement beaucoup plus) d’être citées. De plus en plus de festivals et d’institutions musicales programment leurs œuvres mais leur nom reste encore trop peu connu. Profitons de la notoriété des autres pour glisser dans ce classement une section « bis » en attendant qu’elle ne prenne la place qui leur est due, à l’égale des autres. CCC a dressé cette liste non exhaustive des compositeurs et des compositrices né(e)s ou mort(e)s il y a 50, 100, 150, 200 ou 250 ans pour pointer quelques projecteurs sur…
1 - Maurice Ravel (1875-1937) né il y a 150 ans
Gaspard de la nuit, Daphnis et Chloé, Shéhérazade, L'Enfant et les Sortilèges, La Valse, le Concerto pour la main gauche et bien sûr, le Boléro, les chefs-d’œuvre de Ravel se comptent par dizaine. Même s’il a naturellement été influencé par Debussy et un courant « impressionniste » au début de sa carrière, le compositeur aura très rapidement trouvé ce style inimitable qui le caractérise. Son œuvre, riche et variée, explore toutes les formes classiques dans tous les domaines (opéras, ballet, musique de chambre, etc.) avec une modernité saisissante. Personnage plutôt discret et réservé (on ne lui connait aucune relation amoureuse), la vie du compositeur né au pays basque est toutefois un roman. A ce propos, on ne peut que conseiller le livre de Jean Echenoz « Ravel » sur les dix dernières années de sa vie. Victime d'un accident de taxi à Paris, une affection neurologique sans doute préexistante se révèle, le plongeant petit à petit dans l’aphasie. A propos du Boléro, son chef d'œuvre absolu, il a déclaré « malheureusement il est vide de musique ».
Dans la famille Strauss, je demande le fils ! Et d’ailleurs, il conviendrait plutôt de parler de dynastie tant les Strauss sont nombreux avec Johann Strauss I, le père, notre Johann II (le plus connu), Josef et Eduard, les fils, Johann III, petit-fils et enfin Eduard II, arrière-petit-fils, tous compositeurs ! (aucun lien de parenté en revanche avec Richard Strauss). Johann Strauss II rime bien évidemment avec les valses de Vienne et la Polka. Il en a composé plus de 500 tandis que le père aura contribué à populariser le genre en lui donnant sa forme définitive. Tout n’était pas bien parti pour le jeune Johann destiné à entrer dans la banque. Lorsque le père abandonne sa famille, il entame sa prestigieuse carrière comme chef d’orchestre. Reconcilié avec papa, il prend sa suite et, à sa mort, hérite de la réputation de « roi de la valse ». La renommée du fils dépassera rapidement celle du père avec des chefs-d’œuvre comme Le Beau Danube bleu, La Valse de l'empereur popularisée par le concert du Nouvel An du Musikverein et l’opérette, étalon absolu du genre, La Chauve-souris.
Les œuvres du génial Chostakovitch sont fortement liées au contexte de son époque et à l’U.R.S.S.. Nommé Artiste du Peuple et prix Lénine, il sera le compositeur officiel du régime subissant les pressions et les contraintes idéologiques jusqu’à cette fameuse et symbolique neuvième symphonie. S’inscrivant dans la lignée de Beethoven, il était supposé produire un chef-d’œuvre et non pas cette pièce anecdotique d'une petite demi-heure qui provoqua la colère de Staline et lui vaudra le discrédit. Le compositeur ne reviendra à l'écriture symphonique qu’après la mort du tyran mais ne mènera pas une vie paisible pour autant. Malgré le contexte difficile, on lui doit quinze symphonies, autant de quatuor à cordes (dont le fameux 8ème, un chef-d’œuvre), quelques opéras et de nombreuses mélodies, des concertos (l’étonnant Concerto pour piano n°1 avec trompette), de la musique de film et d’innombrables pièces où l’inspiration est toujours foisonnant. Chostakovitch est un compositeur majeur du XXe siècle.
Avec sa Carmen, Bizet est l’un des compositeurs d’opéra les plus joués au monde et pourtant qui connaît bien sa courte vie ? En effet, l’arbre cachant souvent la forêt, le succès de la bohémienne a fait oublier que le jeune compositeur est mort à 36 ans d’un arrêt cardiaque, vraisemblablement rongé par le stress. A Comique qui reçoit à cette époque un public familial, son héroïne jugée immorale n’a pas convaincu lors de la première où il ne s’est rien passé. Pas d’applaudissements, rien… un accueil des plus froids ! Bizet jouait gros après les succès d’estime des Pêcheurs de perles, de La Jolie Fille de Perth et l’échec de Djamileh. Trois mois après la première et des représentations maintenues malgré tout, il décède. Un contrat ayant été signé avec le Hofoper de Vienne, l’opéra est repris en allemand avec des dialogues chantés composés par Ernest Guiraud. Petit à petit, il conquiert l’Europe avant de revenir en France et de devenir l’un des ouvrages les plus connus dans le monde. Bizet et ses audaces d’écriture reste un talent avorté qui aurait pu être le Wagner français.
Parmi les trop nombreuses compositrices oubliées, Louise Farrenc est la plus connue des inconnues grâce à ses trois symphonies (composées en 1841, 1845 et 1847), parfois jouées en concert et grâce aux quelques enregistrements disponibles. Une partie de ses partitions a été publiée sous le nom de son mari car au XIXe siècle, avoir un métier pour une femme était jugé plutôt louche, voire scandaleux. Née dans une famille d’artistes (son père était sculpteur), elle apprend le piano puis étudie l’harmonie en cours privés avec Anton Reicha. Son époux qui possédait une maison d’édition sera toujours un soutien à ses activités de compositrice qu’il encourage. Même si elle ne s’illustre pas dans le genre lyrique plutôt en vogue à l’époque, Louise Farrenc est considérée comme l’un des pionniers de la musique de chambre française du XIXe siècle. Elle a reçu à deux reprises le Prix Chartier, décerné par l’Académie des Beaux-Arts. On doit également aux époux Farrenc, une précieuse anthologie de musique pour piano du XVIe siècle au milieu du XIXe siècle en 20 volumes.
Il y a un malentendu Boulez. Pour une grande partie du public ses œuvres riment avec dissonance et musique moderne inécoutable. Et pourtant ! Il suffit de se rendre dans une salle de concert pour écouter « répons » par exemple pour comprendre et apprécier une complexité de son et d’atmosphère. L’écriture savante est le produit de son époque et s’inscrit assurément dans l’Histoire de la musique classique après l’Ecole de Vienne et les Schoenberg, Berg et Webern. Comme Lully en son temps, l’homme aura été un savant politique capable de se faire entendre pour bouger les lignes. Grâce à sa pugnacité, la Philharmonie de Paris a été bâtie et de nombreux festivals organisés. Boulez était également un chef d’orchestre qui a dépoussiéré l’approche parfois empesée de compositeurs comme Wagner. Chacun a en mémoire ce fameux Ring à Bayreuth et les productions d’un binôme de théâtre, le génial Patrice Chéreau. Le ministère de la Culture française ayant décrété 2025, « année Boulez », profitons-en pour faire plus ample connaissance avec cette figure majeure.
Il serait facile de dresser un parallèle entre Boulez en France et Luciano Berio de l’autre côté des Alpes tant les deux hommes ont eu un approche conceptuelle et parfois radicale de leur musique. Ils ont travaillé ensemble, Berio ayant dirigé le département d’électro-acoustique à l’IRCAM avant de fonder le Tempo Reale à Florence, son équivalent italien. Le catalogue de Berio comprend des travaux expérimentaux et de nombreuses œuvres comme les Sequenze. Dans Folks Songs, il exploite les possibilités vocales de Cathy Berberian, son épouse, également compositrice d’une œuvre Stripsody où l’interprète fantasque colle des onomatopées de bandes dessinées. La partition sur trois lignes de portée est aussi drôle que la pièce. Cathy Berberian a été une chanteuse d’importance qui a collaboré avec de nombreux compositeurs d'avant-garde. Son leg discographique concerne aussi bien Kurt Weill que les Beatles orchestrés façon baroque ou encore Monteverdi. Artiste pop et ouverte à toutes les cultures, il ne faut pas oublier cette grande dame.
Avec Mozart, Johann Sebastian Bach est sans nul doute le compositeur le plus connu au monde. Celui qui tutoyait Dieu a écrit principalement de la musique religieuse puisqu’il était payé pour son travail de Cantor. Le peu que l’on connaisse de sa vie vient principalement des registres officiels qui témoignent souvent de son agacement à obtenir des musiciens et des chanteurs plus sérieux. Alors que sa réputation a dépassé Leipzig où il a passé la plus grande partie de sa carrière, Bach n’a jamais obtenu de poste à la hauteur de son talent, ses employeurs ne lui manifestant que peu de considération. Son œuvre étant passée de mode après sa mort, malgré les efforts de son fils Carl Philipp Emanuel, il faut attendre le XIXe siècle et Mendelssohn pour redécouvrir les quelques mille œuvres qu’il a laissé. Le goût des romantiques pour les grands orchestre aura desservi sa musique jusqu’à la révolution baroque des années 70 où l’on a tenté de retrouver un son plus proche de l’original. Bach est un compositeur plus moderne que jamais !
Quel étrange personnage que ce monsieur Satie. Originaire d’Honfleur qui abrite un musée à visiter absolument, le compositeur était un excentrique adepte de l’humour, du non-sens et de l’ironie. C’est la nouvelle femme de son père, professeure de piano, qui lui enseigne les bases de l’instrument. « L’enfant prend aussitôt en haine et la musique et le conservatoire. » Il y entre toutefois mais il est bientôt renvoyé, jugé sans talent ! La vie de Satie est un roman. Amoureux de Suzanne Valadon qui le quitte bien vite, on ne lui connaît nulle autre relation. Maître de chapelle à l'Ordre de la Rose-Croix, il va jusqu’à créer sa propre religion dont il est le seul fidèle. Il fréquente Ravel, Debussy, Cocteau mais aussi Bibi-la-purée, personnage interlope. Toujours vêtu du même costume vert (il en avait commandé plusieurs exemplaires) et accro à l’absinthe, il meurt à 59 ans dans le dénuement. Son œuvre hétéroclite fourmille de chef-d’œuvres, les Gymnopédies et les Gnossiennes bien sûr mais aussi de très belles mélodies.
Pianiste de génie, Marie Jaëll mérite ô combien ! de sortir de l’oubli incompréhensible dans lequel elle est plongée comme tant d’autres de ses consœurs compositrices. Interprète virtuose, sa carrière de prodige la conduit dans toute l’Europe où elle donne près de deux cents concerts. Elle étudie la composition avec Camille Saint-Saëns et suit l’enseignement de César Franck. Marie Jaëll se lie d’amitié avec Liszt et côtoie Brahms ou Rubinstein, relations de son mari virtuose comme elle. Elle fait connaître l’œuvre du compositeur hongrois à Paris en jouant l’intégrale de son oeuvre pour piano. Avec ses encouragements, elle écrit plusieurs pièces dont un quatuor fort remarqué. En 1876, elle est l’une des premières compositrices à être interprétées à la Société Nationale de Musique qu’elle intègre en 1887. On doit à Marie Jaëll deux concertos pour piano, un pour violoncelle et de nombreuses œuvres orchestrales d’un style intensément personnel. Défendue par la jeune génération comme la pianiste Célia Oneta Bensaid, espérons son retour fréquent au concert.
Giovanni Pierluigi da Palestrina est l’un des compositeurs italiens les plus importants de la Renaissance et cette huitième place ne vaut que parce que d’autres avant lui jouissent d’une plus grande popularité. Les musicologues seraient en droit de protester tant il est important dans l’histoire de la musique. Jeune chanteur dans la maîtrise de Sainte-Marie-Majeure à Rome, il étudie les oeuvres de Josquin des Prés avant de devenir organiste et maître de Chapelle. Il est appelé à occuper cette fonction à Saint-Pierre de Rome où il dirige le chœur personnel du pape mais sa carrière sera malgré tout mouvementée car il est marié. Même si la forme d'expression musicale a déjà fortement évolué à son époque, elle reste proche du chant grégorien. Sans être un novateur, Palestrina a combiné l’influence des musiciens franco-flamands et a porté à son point de perfection formelle le style polyphonique. Il est considéré comme le père de l'Harmonie et de la musique religieuse occidentale. Il laisse un catalogue monumental.
Dans la famille Scarlatti, Alessandro le père est sans doute moins connu que son fils Domenico compositeur des fameuses 555 sonates. Il est néanmoins un maître de l’opéra qui est sans doute le plus digne représentant de l’école napolitaine en emmenant à terme la tradition dramatique italienne du XVIIe siècle inaugurée par Monteverdi, Cavalli, Cesti, Carissimi et Stradella. Ses opéras sont un peu plus courts qu’à Venise, la grande capitale du genre à cette époque et ne tournent pas forcément autour des personnages mythologiques. Il est surtout connu pour introduire des sinfonias en trois mouvements, ce qui allait devenir la norme pour tous les opéras en Italie. Après un premier succès à 19 ans ! Scarlatti partage sa carrière entre Rome et Naples où il composera 40 ouvrages. On estime même qu’il a composé 114 opéras et peut-être même plus mais les partitions ont été perdues ou ont disparu. Alessandro Scarlatti a également écrit 9 oratorios et 65 cantates dans un style assez personnel qu’il convient de redécouvrir.
Le succès d’Amadeus, la pièce de théâtre de Peter Shaffer (inspirée de Pouchkine), puis du film de Miloš Forman n’aura pas aidé à la réputation d’Antonio Salieri qui passe désormais comme le meurtrier du génial Mozart. La vraie histoire est tout autre et sa rivalité avec le grand Amadeus complètement inventée. Bien que né près de Vérone, le compositeur est représentatif de l’école napolitaine, très en vogue au XVIIIe siècle. Sa carrière à Vienne où il se fait d’abord connaître comme compositeur de musique d’église est exemplaire. Nommé compositeur de la cour et des théâtres, il occupera les postes les plus prestigieux tout en continuant à travailler pour les opéras de Rome, Paris ou Milan. Il écrit L’Europa riconosciuta pour l’inauguration de la Scala et aura Da Ponte ou Beaumarchais comme librettiste. Ami de Gluck et de Haydn, Salieri a été également un grand pédagogue (il participe à la création du Conservatoire de Vienne) qui a eu Beethoven, Schubert, Liszt, Meyerbeer et Franz Xaver Wolfgang Mozart, le dernier fils de Wolfgang Amadeus comme élève !
Compositeur productif, on doit à François-Adrien Boieldieu une petite quarantaine d’opéras et même si le genre lyrique a été prédominent dans sa carrière, il a écrit des concertos et de nombreuses pièces de musique de chambre. Que reste-t-il de ses compositions aujourd’hui ? Seuls son avant-dernier opéra La Dame blanche et le concerto pour harpe sont joués assez régulièrement et pourtant le natif de Rouen a connu de nombreux triomphes et même la gloire. Précoce, à 18 ans il remporte son premier succès avec La Fille coupable (1793) ce qui le propulse à Paris où il enchaîne les réussites. Le critique Berlioz aurait définit sa musique d’une « élégance parisienne de bon goût qui plaît ». Suite à un mariage malheureux, il s’enfuit à Saint-Pétersbourg où il continue à composer et où, à nouveau, il est acclamé. Tel le fils prodigue, il revient à Paris et adapte ses succès russes. La Dame blanche est reconnu comme le premier ouvrage du romantisme français. Un autre mystère demeure, comment doit-on prononcer son nom ?
Toute l’équipe de CCC vous souhaite une très bonne année 2025 !