Qu'est-ce que l'interprétation ?
Le monde ne se divise pas entre, d’un côté les fans de musique classique et de l’autre les admirateurs de foot. On peut tout à la fois aimer les divas et les gros mollets, mais il est souvent plus difficile pour un mordu de classique d’expliquer pourquoi il est capable d’aller voir pour la douzième fois de la saison, une représentation des Nozze di Figaro de Mozart. Et lorsqu’il tente de se justifier en évoquant la question de l’interprétation, souvent le regard de son interlocuteur s’assombrit un peu plus car il se demande, « Mais qu’est-ce donc que l’interprétation ? »
Même si l’image d’un artiste face à une partition de musique est assez facile à se représenter, rares sont les spectateurs capables de réaliser que le travail d’un chanteur d’opéra, par exemple, est double. La partie la plus visible se passe sur la scène où, tel un acteur, il incarne un personnage avec une multitude de sentiments à exprimer. Il en est de même pour le soliste qui doit incarner la musique qu’il joue, la faire entendre comme il le souhaite. C’est ce qui le distingue d’une machine qui ne pourra jamais mettre du sentiment ou de l'animalité dans cette succession de notes de musique.
Des heures de travail !
Le travail le plus important se passe avant la représentation, il s’agit de toute la partie technique. Il faut des heures et des heures de travail pour qu’un violoniste maîtrise parfaitement le son qu’il souhaite émettre. Les chanteurs lyriques sont encore plus sollicités car leur instrument de musique, c’est leur corps tout entier. Du bout des orteils jusqu’à la pointe des cheveux, tout est utilisé pour placer le souffle, bander les muscles, articuler le son et projeter avec la puissance requise (rappelons que les divas chantent sans micro).
Le miracle se produit lorsque ces musiciens sont capables de faire oublier toute technique. Ils deviennent alors des interprètes, heureux de mettre leur art à la disposition du compositeur. Pour utiliser une image parlante, souvenez-vous des sourires crispés accueillants la prestation du petit neveu qui tient absolument à vous faire entendre ses progrès dans Jeux Interdits. Tout charmant qu’il est, le petit neveu n’est pas « encore » un interprète.
L'interprétation c'est comme la blanquette de veau
Le classique offre un large éventail de musique aux styles très différents mais une partition écrite reste toujours la même. Pourtant, une symphonie de Beethoven dirigée par Esa-Pekka Salonen ne ressemble pas à celle de Simon Rattle. Le Berliner Philharmoniker n’a pas le même son que le Los Angeles Philharmonic, on le devine mais le plus important reste que le chef d’orchestre garde toujours sa liberté d’artiste. Il aura le souci de mener cette phrase musicale de façon plus subtile ou plus appuyée que son collègue.
De même, lorsque Jonas Kaufmann apparaît sur scène dans Werther, on sent tout de suite que le personnage qu’il incarne est suicidaire tandis que Piotr Beczala laisse un espoir quant au dénouement. Ces deux grands chanteurs sont deux artistes très différents mais ils ont ému aux larmes. Il est permis de préférer l’un ou l’autre comme en cuisine. On a beau aimer la blanquette de veau, on fera la différence entre de la boite et du fait maison et il n’est pas interdit d’apprécier la recette de Robuchon et celle de sa mamie. Ce sont deux interprétations différentes de la blanquette et pour le fan, il est possible et très facile d’en manger douze fois par saison... pourvu qu’elle soit bonne !