Jean-Guihen Queyras et Alexandre Tharaud au sommet des Rencontres Musicales de Haute Provence
L’ambiance décontractée des Rencontres Musicales de Haute Provence ferait presque oublier que les artistes qui s’y produisent sont des acteurs majeurs de la scène musicale internationale. Et si l’humilité participait à la réussite du concert ? Compte-rendu…
Les grillons se sont tus. La température est redescendue grâce à l’orage venu rafraîchir l’air étouffant de cette chaude journée du 27 juillet 2018. La belle soirée des Rencontres Musicales de Haute Provence peut commencer. L’agréable Cloître des Cordeliers de Forcalquier reçoit ce soir deux grands artistes à la renommée internationale. Jean-Guihen Queyras, co-directeur artistique du festival, est sans doute la figure de proue de cette semaine de concert qui affiche depuis trente ans une belle programmation.
En cette veille de soirée anniversaire, le violoncelliste a invité l’un de ses nombreux et illustres camarades de jeu, le pianiste français Alexandre Tharaud dans une ambiance estivale. Le ciel au-dessus de nos têtes accueille ce soir une éclipse de lune. Pédagogue et spontané, Jean-François Queyras (créateur avec son épouse de la manifestation) fait une courte introduction bienvenue et termine sa présentation avec un mot d’humour. Ainsi placés, seuls les artistes pourront voir la lune rousse… En choisissant Beethoven, Mahler, Berg et Brahms, le duo met l’accent sur la musique du futur avec des compositeurs qui ont écrit en réaction à une tradition trop lourde.
Dans la première partie de ce récital sans entracte, seul Alexandre Tharaud fait son entrée pour interpréter la Sonate op. 110 de Beethoven. Chez le grand pianiste, l’on admire toujours cette quête de la finesse, du juste son avec un touché raffiné et délicat qui ne dédaigne pas la puissance et les démonstrations virtuoses.
En l’absence de la lune, les artistes sont-ils toujours inspirés ?
On connaît Tharaud excellent transcripteur (notamment avec une Valse de Ravel ébouriffante). Avec l’Adagietto de la Symphonie No. 5, il s’est attaqué à un chef-d’œuvre de délicatesse. Très aboutie, la partition laisse entendre les mélismes et la savante simplicité du morceau. Une partie du pathos s’est cependant évanouie dans un tempo peut-être trop rapide. L’on reste captivé mais par bribes.
Avec les aspérités des Quatre Pièces pour Clarinette et Piano op. 5 de Berg (transcrites pour violoncelle) l’on retrouve l’osmose qui fait la cohérence de ce duo de grands solistes. En enchaînant directement avec la première Sonate pour Violoncelle et piano de Brahms, les artistes soulignent une parenté entre les œuvres avec la même atmosphère mélancolique. Enigmatique, la musique de Brahms en devient fascinante. Il y a toujours une infinie sensualité dans le jeu de Jean-Guihen Queyras suivi très joliment par Alexandre Tharaud. La technique parfaite associée à une belle maturité leur permet de donner libre court à une rare interprétation. Moment exceptionnel dans un concert, les musiciens semblent inventer la musique qu’ils interprètent. Une chance pour les mélomanes, quelques témoignages discographiques existent et prouvent s’il le fallait encore, la parfaite association de ces deux immenses talents.
En attendant une prochaine rencontre (ou qui-sait, un prochain disque ?), Jean-Guihen Queyras et Alexandre Tharaud nous ont offert des bis signés David Popper, Rodion Chtchedrine et Franz von Vecsey nous faisant complètement oublier la lune rousse pourtant bien présente au-dessus de nos têtes !