Leçon de chant Mahlérien à Royaumont
En réussissant à maintenir son Festival, Royaumont s’affiche comme un environnement de la culture et de la musique classique préservé. Rassemblés dans le réfectoire pour assister au concert Mahler par Het Collectief, les mélomanes ont-ils regretté le beau soleil à l’extérieur ? Réponse...
Lorsque l’on a gouté aux charmes de Royaumont, il est difficile de s’en passer. La Fondation qui œuvre de multiples façons pour la musique classique est logée dans un havre de paix en pleine nature. C’est avec émotion que les spectateurs fidèles ont fait leur retour à l’Abbaye pour assister aux concerts de la 76ème édition du Festival, dans des conditions particulières comme on l’imagine facilement en cette période de pandémie. Tout a cependant été mis en place pour accueillir le public le plus sereinement possible. Occupant un fauteuil sur deux, masque bien en place et mains désinfectées, les mélomanes ont répondu présent à l’appel du premier rendez-vous incontournable de la saison. Ce dimanche 13 septembre, Das Lied von der Erde de Mahler était au programme dans une nouvelle version réduite pour un petit ensemble d’instrumentistes. Le projet porté par Reinbert de Leeuw pour le Het Collectief a pu être mené à terme malgré la disparition du chef d’orchestre (à qui le concert a été dédié).
Le ténor est un ivrogne au printemps
Pour apprécier la transcription, il vaut mieux retrouver la virginité de l’écoute au risque d’être encombré par les souvenirs du concert ou du disque. Même si la réduction est très bien faite, les chatoiements du grand orchestre mahlérien font défaut, particulièrement dans les parties chantées par le ténor où l’on sent un déséquilibre entre les parties. Il faut dire que Yves Saelens est en grande forme avec un chant puissant qui ne fait qu’une bouchée de ses 15 collègues instrumentistes. Le ténor affronte brillamment la tessiture tendue, notamment dans Das Trinklied vom Jammer der Erde le premier Lied saisissant. Habitué à la partition qu’il a souvent défendue sur scène, il incarne la phrase avec un théâtre discret (Der Trunkene im Frühling) et de belles nuances vocales, enchainant aisément piano et forte. A la direction, Gregor Mayrhofer est un talent à suivre de près. Le jeune chef, assistant du Berliner Philharmoniker, s’est fondu dans le projet avec naturel. Il empoigne l’œuvre et dirige précisément comme il le ferait avec un grand effectif. Malgré les possibilités réduites, il arrive à donner des couleurs et à dégager un climat chargé d’émotions particulièrement dans un Der Abschied d’anthologie.
Je l’attends pour le dernier adieu
Le grand Lied d’une demi-heure trouve en Lucile Richardot une interprète idéale. Familière elle aussi de l’écriture du compositeur autrichien pour l’avoir souvent inscrit au programme de ses récitals, la contralto a abordé le cycle avec orchestre pour la première fois à Saintes en 2019. Cette nouvelle série de concerts sera couronnée par la sortie de l’enregistrement disponible à partir du 18 septembre 2020 sous le label Alpha avant de reprendre certainement courant 2021. Il serait facile d’évoquer l’ADN baroque de la chanteuse pour saluer les longues phrases (admirable « Ich harre sein zum letzten Lebewohl », « Je l’attends pour le dernier adieu » dans Der Abschied) sur le souffle presque sans vibrato mais elle s’appuie sur sa technique remarquable pour délivrer autre chose. La diction est admirable, la tessiture homogène avec des graves délicats et des aigus qui semblent si évidents qu’ils en feraient oublier les difficultés. Placée ainsi dans la chaire du réfectoire des moines, la voix devient céleste, presque sacrée en créant un contraste symbolique avec l’aspect terrien évoqué par le ténor. Les phrases résonnent comme autant de moments suspendus accompagnés de nombreux frissons ! Un nouveau concert exceptionnel à Royaumont, cela deviendrait presque une habitude...