Inoubliable Iphigénie de Gluck au Théâtre des Champs-Elysées
Iphigénie en Tauride de Gluck est un opéra que le mélomane admire depuis longtemps car il en connait la puissance dramatique. L’œuvre étant rarement à l’affiche à Paris, une production signée Robert Carsen au Théâtre des Champs-Elysées suscite un intérêt évident. Compte-rendu…
De Christoph Willibald Gluck, le grand public connaît assurément Orfeo ed Euridice qui a révolutionné le genre lyrique en son temps. Le compositeur bavarois possède bien d’autres chefs-d’œuvre à son catalogue comme Iphigénie en Tauride, à l’affiche du Théâtre des Champs-Elysées jusqu’au 30 j. Après Orfeo la saison dernière, le directeur des lieux Michel Franck a eu l’ingénieuse idée de faire venir de nouveau une mise en scène de Robert Carsen qui a déjà fait les beaux soirs de Covent Garden ou du Lyric Opera of Chicago où elle a été créée en 2006.
Avec une économie de moyens depuis longtemps assumée, le metteur en scène canadien atteint sans doute ici la perfection. L’univers noir du décor épuré de Tobias Hoheisel (quatre murs oppressants) convient parfaitement à la malédiction des Atrides. Le drame se lit sur le visage des acteurs. Robert Carsen leur fournit juste quelques outils symboliques qui servent l’évolution dramatique comme un éclairage écrasant proprement les héros de douleur. Dans une chorégraphie fiévreuse de Philippe Giraudeau, les meurtres sont mimés par une troupe de danseurs habités qui incarnent à la fois les prêtresses de Diane ou d’impressionnantes furies.
Les Champs-Elysées consumés par le feu
Thomas Hengelbrock à la tête du Balthasar-Neumann-Ensemble et du Balthasar-Neumann-Chor insuffle à la fois de la douceur et une violence inouïe réclamée par la partition de Gluck. Le théâtre ainsi créé dans la fosse permet un véritable dialogue avec le plateau, et quel plateau ! Sur le papier déjà la distribution semblait idéale mais la scène réserve parfois des surprises. Ce lundi 24 juin, les attentes ont été largement dépassées. Le feu qui habite les chanteurs entièrement investis de leur art a tout consumé ! Gaëlle Arquez possède la gravité d’Iphigénie avec une voix opulente et somptueuse. Au service du théâtre, son mezzo qu’elle ne ménage pas est largement sollicité mais ne cède rien à la prononciation élégante et fortement expressive. Comme elle, Alexandre Duhamel dans le rôle du méchant Thoas se joue des difficultés de la partition et livre une prestation remarquable. Il est rare de pouvoir apprécier un plateau vocal aussi homogène et investi.
Gaëlle Arquez et Stéphane Degout inoubliables
Avec une voix virile, le ténor Paolo Fanale apporte beaucoup au rôle de Pylade même si sa prononciation est un cran en-dessous de ses partenaires francophones. Pour l’avoir souvent admiré, l’on sait ce que Stéphane Degout peut apporter à un rôle profondément dramatique comme celui d’Oreste. Dans cette mise en scène, il se dépasse encore et renouvelle un petit miracle sur scène en transformant la représentation en un moment de vie d’une intensité stupéfiante. Dans les moments d’hallucination admirablement rendus par Robert Carsen, son visage torturé porte un effroi plus vrai que nature.
C’est sans doute dans les confrontations avec Gaëlle Arquez que la représentation trouve son acmé. Le duo se répond avec une évidence dramatique rare servie par des images marquantes (comme lorsqu’enfin Iphigénie reconnaît son frère qu’elle enlace comme une piéta) livrant ainsi une prestation inoubliable. Cette production restera certainement comme l’une des plus grandes réussites du Théâtre des Champs-Elysées, ère Michel Franck. Il reste quelques représentations qu’il serait dommage de rater. Les mélomanes présents dans la salle ne sont pas près d’oublier ce qu’ils ont vécu.