Matthias Goerne et Daniil Trifonov, la rencontre du Carnegie Hall
Lorsque Carnegie Hall a annoncé un récital de Matthias Goerne accompagné par Daniil Trifonov, les mélomanes n’en ont pas cru leurs yeux ! Deux géants du classique allaient se produire à New York ! Mais aussitôt, le doute : et si la mayonnaise ne prenait pas ! Résultat de la dégustation…
Le grand événement de New York, ce 6 février 2018 avait lieu au Carnegie Hall. Matthias Goerne, le plus grand Liedersänger de notre époque rencontrait Daniil Trifonov, dans le cadre d'un cycle construit autour du jeune et déjà auréolé pianiste russe. Depuis quelques saisons, Matthias Goerne multiplie les rencontres. On se souvient des cycles Schubert qu’il a récemment entrepris avec Leif Ove Andsnes ou des divers récitals avec d’autres grandes figures du piano tels Alfred Brendel ou Markus Hinterhölzer. Le baryton renouvelle ainsi constamment son approche du répertoire des Lieder allemands avec un prédilection pour Schumann et Schubert. Le duo qu’il a formé avec Daniil Trifonov était inédit. Lauréat de prestigieux concours (Tchaikovsky, Chopin), le pianiste de bientôt 27 ans construit une carrière exemplaire avec la particularité de réussir à marier à la perfection, virtuosité et sensibilité.
Des carrières aussi brillantes soient-elles, ne sont pas la garantie d’un spectacle réussi. L’exercice de l’accompagnement est sans doute l’un des plus périlleux pour un pianiste soliste car il faut à la fois exister, faire preuve de son talent, tout en restant à l’écoute de son partenaire qui prend quasiment toute la lumière. Le programme annoncé était exigeant : quatre Lieder opus 2 d’Alban Berg, Drei Gedichte von Michelangelo de Hugo Wolf et Suite sur des sonnets de Michel-Ange opus 145 de Dmitri Chostakovitch. Les Dichterliebe de Schumann et les vier ernste Gesänge de Brahms composaient la partie la plus fréquentée de ce récital intense.
Goerne et Trifonov dans un récital à en pleurer
Sur le papier, le programme semblait plus destiné à un public averti, d’autant plus que les artistes ont enchaîné les morceaux d’une traite, laissant à peine le temps de se ressaisir. C'est devenu une habitude avec Matthias Goerne qui construit ses programmes comme le ferait un architecte, dessinant ici un arc entre amour et mort, les thèmes majeurs des poésies mises en musique.
Dès la première mesure aux accents debussystes de Dem Schmerz sein Recht de Berg qui ouvre le récital, nous sommes fascinés par la douceur de la voix et par la précision du piano. Les duettistes ont captivé les quelques 2 800 spectateurs de Carnegie Hall, venus en nombre jouir de l’acoustique exemplaire. Le baryton qui a atteint sa pleine maturité vocale, lâche chaque phrase en ciselant les mots avec douceur ou vigueur et des aigus éclatants. Le grand art du chanteur se trouve transcendé par un pianiste à l’élégance inouïe. Daniil Trifonov se montre une fois de plus à son meilleur. Plus qu’un accompagnateur, c'est un véritable partenaire qui joue à égal. Aérien dans Hör’ich das Liedchen klingen de Schumann, enjoué dans Aus alten Märchen, noir dans Chostakovitch, son jeu est remarquable de bout en bout. Non seulement la rencontre des deux artistes a bien lieu mais elle a permis une représentation au-delà des attentes, surtout dans les quatre chants sérieux de Brahms d'anthologie. En bis, Bist du bei mir de Bach d’une suavité incroyable et d’une douceur céleste aura même fait couler des larmes...