Chorégies d’Orange, nouvel air avec Mefistofele
Avec Faust, il y a toujours de la magie dans l’air. Aux Chorégies d’Orange, la métamorphose a bien eu lieu sous l’impulsion du nouveau directeur qui, en programmant le Mefistofele de Boito, a ébloui les spectateurs. Toutes les lumières sur cette nouveauté…
La soirée était très attendue à Orange, ce 9 juillet où s’est jouée la deuxième représentation du premier opéra à l’affiche des Chorégies, cru 2018. Un souffle nouveau a caressé les gradins du Théâtre Antique avec un mistral discret venu rafraîchir les festivaliers, prêts à découvrir Mefistofele de Boito. La nouvelle production marquait les vrais débuts de Jean-Louis Grinda comme directeur de l’institution séculaire. Nommé plus tôt que prévu en 2016, il a pris les rênes des Chorégies d’Orange en pleine tempête après le départ de Raymond Duffaut (en place depuis 40 ans) pour affronter les difficultés financières et tenter de sauver le plus vieux festival français.
Comme metteur en scène, Jean-Louis Grinda a encore relevé un défi en signant la production de Mefistofele car séduire les spectateurs avec un chef-d’œuvre bien mal connu est une autre grande quête pour un homme de théâtre. Les amateurs éclairés apprécient pourtant l’opéra de Boito (célèbre librettiste de Verdi) fréquemment programmé dans les grandes maisons d’opéra, à l’étranger. Sans doute repue et satisfaite de son Gounod, la France a rarement l’audace de s’aventurer sur les terres italiennes et cela est bien regrettable. La partition regorge de superbes airs avec une partie chorale importante magnifiquement composée. Il faut citer les chœurs de l’Opéra Grand Avignon, de l’Opéra de Monte-Carlo, de l’Opéra de Nice et le choeur d’enfants de l’Académie de musique Rainier III – Monaco, responsables en premier lieu de la réussite du spectacle.
A la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio-France, Nathalie Stutzmann est souveraine. La cheffe domine l’ouvrage en y apportant une intensité remarquable. A l’occasion, elle fait enfin exploser un archaïsme car elle est la toute première femme à diriger au Théâtre Antique. Raisonnablement moderne, la mise en scène de Jean-Louis Grinda ose le spectaculaire. Le livret de Boito le lui permet car le compositeur est allé chercher des éléments dans le Faust II de Goethe au parfum d’ésotérisme. Le cabinet du Docteur Faust est plus vrai que nature mais ce sont les scènes de foules que l’on retient plus particulièrement avec apparition de circassiens et des costumes bigarrés, fort appréciés du grand public.
Faust renouvelle son pacte avec Mefistofele…
Quelques images resteront longtemps dans les mémoires comme la statue d’Auguste en majesté venant illuminer de ses rayons, les choristes dans les nuages.
Le plateau vocal répond en grande partie aux exigences de la partition. Félin et sexy en diable, Erwin Schrott est un Mefistofele incontournable, actuellement le plus grand. Cigarillos au bec, il impressionne dans son grand air « Son lo spirito che nega » vraiment inquiétant. Jean-François Borras manque un peu de vaillance dans l’air bien connu « Dai campi, dai prati » mais la voix s’épanouie au fur et à mesure de la soirée pour emporter la mise sans difficulté. L’évolution vocale de Béatrice Uria-Monzon lui a ouvert de nouveaux horizons la faisant passer du registre de mezzo à celui de soprano. L’on reste cependant gêné par des graves paradoxalement absents et par des aigus tirés dans le rôle de Margherita. En revanche, dans l’Acte IV, elle campe une Elena brune, accomplie et convaincante. Dans les rôles secondaires, Valentine Lemercier, Reinaldo Macias donnent du relief à leur personnage comme Marie-Ange Todorovitch, Dame Marthe délicieusement outrée.
Avec cet opéra de grande qualité, doucement mais sûrement les Chorégies d’Orange entrent dans une nouvelle ère. Même si les mélomanes avertis connaissaient déjà les vertus du Mefistofele de Boito, le pari de proposer ce chef-d’oeuvre n’était pas sans risque (quelques mauvaises langues ont même répandu la méchante rumeur d’un théâtre à moitié vide). Bien plus curieux qu’on ne le pense, le grand public qui a fait confiance a été largement récompensé avec ce spectacle digne du lieu grandiose. La deuxième production de 2018 est le célèbre Barbiere di Siviglia de Rossini qui n’avait pourtant jamais été programmé à Orange. Dans l’attente de l’annonce de la prochaine saison, nous pouvons fantasmer sur tous les titres possibles à l’affiche des chorégies, le ciel au-dessus du Théâtre Antique comme seule limite…