Akhnaten sur écran solaire à l’Opéra de Nice
Sauf quand elles sont chantées, les lamentations ne servent à rien. Le mélomane est privé de spectacle vivant, c’est ainsi. Tout n’est pourtant pas perdu. Il est possible de voir le grand événement de la rentrée. Explications…
Une représentation en visio, streaming, sur une Web TV, un ordinateur ou un grand écran ne remplacera jamais un spectacle vivant. Plongés depuis plusieurs semaines dans un no man’s land culturel, les mélomanes se contentent pourtant de ce qui leur est proposé sur les plateformes numériques. Comme le masque, les retransmissions sont un accessoire nécessaire qui permettent de patienter pour le retour des beaux jours et la réouverture des salles.
Akhnaten de Philip Glass en ouverture de la saison de l’Opéra de Nice, premier spectacle de son nouveau directeur Bertrand Rossi, était attendu comme le grand événement de la rentrée lyrique. Mais comme les dix plaies d’Egypte, les difficultés se sont accumulées. Malgré peu de changements de distribution, toutes les équipes ont d’abord dû s’adapter à la situation sanitaire inédite et aux nombreux bouleversements. Alors qu’elle était annoncée à la mise en scène, la grande chorégraphe Lucinda Childs bloquée à New York ne pouvait plus se déplacer. Elle a tout de même relevé un défi incroyable en assurant tout le travail de répétition en visioconférence. Une nouvelle contrainte imposée par le couvre-feu a pu être surmontée avec des changements de dates et d’horaires. Sans évoquer les inondations dramatiques dans l’arrière-pays et l’attentat ignoble en plein cœur de Nice, événements qui ont immanquablement affecté les personnels et les artistes, le coup de grâce a été porté deux jours avant la première avec le nouveau confinement et l’annulation complète des représentations.
Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Miraculeusement, la production a pu être sauvée avec une captation qui est actuellement diffusée à la demande sur le site de l’Opéra de Nice. Ainsi filmé, le spectacle est à apprécier pour ce qu’il est car il y a une grande différence entre une captation dans les conditions d’un direct et un DVD, produit fini qui bénéficie d’un travail de coupe et de nombreuses heures d’enregistrements. La prudence est donc de mise pour le critique qui doit juger comme s’il était présent dans la salle sans pour autant profiter d’un élément essentiel, le son. Le jeu en vaut largement la chandelle car le spectacle est une très belle réussite. Programmer un opéra contemporain en ouverture de saison d’une maison traditionnelle semblait un pari insensé. Ceux qui connaissent déjà l’œuvre et la musique hypnotique de Philip Glass, savent que la prise de risque était mesurée. Nonobstant, l’audace de Bertrand Rossi est à saluer car Akhnaten n’a quasiment jamais régné sur les scènes françaises. Complice du compositeur, Lucinda Childs était la femme de la situation. Alors qu’elle a été une des actrices principales du succès d’Einstein on the Beach, le premier opéra de Glass (1976) avec Bob Wilson à la mise en scène, la chorégraphe est dans son univers. Les images qu’elle invente sont d’une force esthétique impressionnante. Elle s’affranchit aisément des statismes wilsoniens en proposant un théâtre visuel original et toujours vivant. Il faut bien sûr mentionner sa chorégraphie fluide, magnifiquement servie par les artistes du Pôle National Supérieur de Danse Rosella Hightower de Mougins.
Sous le soleil exactement
Pour un orchestre habitué au répertoire lyrique et symphonique, jouer une œuvre de musique répétitive est une gageure. Sous la direction évidente de Léo Warynski, les musiciens semblent à l’aise, tout comme leurs collègues choristes qui se sortent des difficultés techniques haut la main. Rappelons que le compositeur a utilisé plusieurs langues dont l’égyptien ancien, l’akkadien ou l’hébreu. La musique de Glass est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Même si l’écriture vocale ne pousse pas les chanteurs dans des extrêmes, il est nécessaire de posséder un sens du rythme et surtout, du souffle. Difficile de juger la prestation de Vincent Le Texier. Peu aidé par une prise de son défavorable, son air semble malheureusement aboyé. La masse orchestrale moins fournie est plus propice au ténor Frédéric Diquero, un grand prêtre d'Amon remarqué. Patrizia Ciofi incarne une Reine Tye de luxe qui intervient surtout dans de sublimes trios. Son timbre conjugué à ceux de Nefertiti et d’Akhnaten fait merveille. Dans le rôle de la célèbre reine d’Egypte, la mezzo Julie Robard-Gendre a un visage expressif et une voix qui servent son interprétation avec douceur et beauté. Créé par le contreténor Paul Eswood, le rôle d’Akhnaten trouve en Fabrice Di Falco l’interprète idéal. L’androgynie vocale voulue par le compositeur se double d’une présence solaire qui illumine la scène. Après son incroyable prestation dans Les Nègres de Michael Levinas, voici un nouveau rôle marquant pour cet artiste hors du commun.
Et s’il faut exprimer un seul regret, c’est bien de ne pas avoir assisté en vrai à une représentation de ce spectacle qui fera date dans l’histoire de l’Opéra de Nice. Aton, le dieu solaire de l'Égypte antique vénéré par Akhnaten, a-t-il été entendu ? Il serait question d’une reprise de la production en 2021…