Madama Butterfly et Ermonela Jaho brisent les cœurs au Festival d’Aix
Année Puccini oblige, les productions d’opéras s’enchaînent avec parfois le risque de l’originalité pour se démarquer. L’un des plus grands festivals d’art lyrique au monde aurait-il pris le contre-pied de l’extravagance ? Explications…
Aucun mélomane n’a oublié que 2024 est la grande année Puccini. Le compositeur d’opéra majeur, mort il y a tout juste 100 ans, peut être célébré de multiples façons, une production exemplaire étant sans nul doute le meilleur hommage à lui rendre. Ces dernières saisons, les mises en scène vues au Festival International d'Art Lyrique d'Aix-en-Provence ont surtout fait la une dans la rubrique scandale quand ce n’est pas dans le volet finance qu’a été évoqué le prestigieux rendez-vous estival. Cette saison, les programmateurs ont choisi de ne pas snober Puccini en invitant Madama Butterfly dans la Cour de l'Archevêché. La dernière représentation du 22 juillet 2024 a mis le public debout, acclamant les artistes, le chef et une mise en scène qui fera date dans l’histoire d’un Festival qui retrouve son lustre et toute sa pertinence.
Le retour à l’intelligence, nouveau précepte de la modernité ?
Lorsqu’un livret propose des didascalies aussi précises que celles laissées par Puccini dans Madama Butterfly ou Tosca par exemple, il est souvent difficile pour un metteur en scène d’exister. Une autre difficulté, plus sournoise encore, imposerait originalité et décalage dès lors que la femme de théâtre s’exécute dans le cadre d’un festival. Cette nouvelle production signée Andrea Breth, comme un subtil hommage au Japon, prouve que l’on peut faire traditionnel et moderne à la fois. Le livret est suivi à la lettre et pourtant, le drame vécu par Cio-Cio-san résonne de façon incroyablement contemporaine. Le décor unique (du scénographe Raimund Orfeo Voigt), très sobre, est un intérieur nippon avec shoji, paravents et tatamis. Les supports des cloisons coulissantes ont été laissés à l’avant-scène pour plus de réalisme. C’est par de subtils détails que la metteuse en scène nous plonge dans un univers théâtral sensible et complexe. Une expression de la servante Suzuki permet de comprendre l’indélicatesse des Américains et le décalage des cultures. Avec intelligence, Andrea Breth évite tous les clichés sur le pays du soleil levant en resserrant l’action sur les personnages principaux. Débarrassée d’un décorum pesant, la poésie s’invite comme lorsque des marionnettistes font voler des hérons avec sensualité. La grande réussite de cette production est d’avoir illustré quelques images mentales de Cio-Cio-san comme le seppuku du père qui continue à hanter la jeune fille. Rarement l’on aura ressenti autant de compassion pour l’héroïne, admirablement servie par l’interprétation magistrale d’Ermonela Jaho.
L’alchimiste Ermonela Jaho réincarnée en Cio-Cio-san
Vibrante, sensible, délicate, forte et exceptionnelle, la prestation de la soprano restera longtemps dans les mémoires. Il est vrai que l’on pourrait chipoter sur un petit manque de puissance vocale parfois mais les infimes défauts sont transmutés en or grâce à un art consommé. Ermonela Jaho ne chante pas Butterfly, elle est Cio-Cio-san dans les expressions, dans les nuances infinies d’une voix où la fragilité touche au plus profond de l’âme. Autour d’elle, Mihoko Fujimura (Suzuki) et Lionel Lhote (Sharpless) rivalisent de compassion et d’humanité. La grande mezzo wagnérienne compose une servante sensible tandis que l’exceptionnel baryton belge incarne son personnage avec naturel et évidence, comme à chaque fois ! B. F. Pinkerton n’est pas un personnage à la psychologie très développée. En se mariant avec cette jeune japonaise de 15 ans, le lieutenant de la marine des États-Unis d'Amérique ne s’embarrasse pas de scrupules. Avec son physique de héros d’une série Netflix, Adam Smith est crédible et joue l’inconséquence avec talent. La voix un peu trop ouverte ne remplit pas exactement le cahier des charges puccinien sans toutefois trop déséquilibrer l’ensemble. Parmi les personnages secondaires, outre un Goro routinier (Carlo Bosi) l’on remarque particulièrement Inho Jeong au timbre d’airain qui fait impression dans son costume du zio Bonzo (dessiné par Ursula Renzenbrink). Albane Carrère dans le court rôle de Kate Pinkerton possède une présence sur scène. Une mise en scène et des interprètes de talent suffisent parfois au succès. Grâce à la direction de Daniele Rustioni, la soirée s’est transformée en triomphe. Le brillant chef à la tête de l’orchestre et du chœur de l’Opéra de Lyon (dont il est le chef principal depuis 2017) fait respirer la partition en la débarrassant de toute lourdeur. Même les japaniérismes deviennent raffinement sous sa baguette qui a envoûté tout au long de la représentation. La grande émotion toujours ressentie à l’issue du spectacle est de celles que les mélomanes attendent. En procurant ce bonheur à ses spectateurs, le Festival d’Aix a reconquis les cœurs.