L’Aix de Pichon, un Bach à Pâques en Festival !
Souvent programmé, Raphaël Pichon est devenu un familier du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence et peut-être même le petit préféré des mélomanes. Après les Passions, avec la Messe en si mineur de Bach, autre chef-d’œuvre absolu, risque-t-il de lasser ? Réponse…
Entre Raphaël Pichon et le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence, c’est une histoire de fidélité et de Passion qui dure depuis 2018. Cette année-là, pour la première fois, le jeune chef et son ensemble Pygmalion sont invités à diriger la Johannes-Passion de Bach, une tradition en ce vendredi Saint aixois. Il reviendra pour une Matthäus-Passion couronnée de succès, en 2021. D’évidentes affinités avec le compositeur qui tutoie Dieu ont été maintes fois confirmées depuis. Parmi ses grandes œuvres, la Messe en si mineur (h-Moll-Messe) qui n’a jamais été jouée du vivant de Bach occupe la place spéciale d’ultime testament. L’atmosphère sereine qui régnait au Grand Théâtre de Provence ce 4 avril 2024 était teintée d’une légère fébrilité. Et si Pichon décevait ? Après les deux Passions luthériennes, la célèbre Messe dont la magnificence penche plutôt vers la rive catholique de la musique sacrée saura-t-elle émouvoir autant ? De nombreuses d’attentes qu’une annonce est venue légèrement perturber.
Deux tiers des solistes n’ont pas chanté
Les aléas de la programmation réservent parfois quelques surprises. Annoncée bien en amont, la distribution du concert a connu de nombreux changements communiqués en ouverture. En effet, trois des cinq solistes prévus n’ont pu se produire pour des raisons tout simplement médicales ou de conflit d’agenda. C’est le cas de la contralto Lucile Richardot, très attendue, qui a cédé sa place au contreténor William Shelton, une belle révélation. Dès le Qui sedes, la justesse et la parfaite conduite de la ligne vocale séduisent pour émouvoir dans l’Agnus Dei, moment très attendu de la divine partition. Shelton chante et incarne sa partie de façon terrestre avec une humanité et une simplicité qui arrachent des larmes surtout avec un tapis sonore d’une exceptionnelle qualité. Charmant soprano léger, Maïlys de Villoutreys a chanté sa partie avec conviction sans toutefois parvenir au même niveau d’émotion, amenant parfois un déséquilibre dans ses duos avec la mezzo ou le ténor, aux timbres plus affirmés. Beth Taylor possède une voix riche qui se déploie magnifiquement dans des graves sonores. La longueur du souffle lui permet un soutien remarquable dans la phrase de Bach qu’elle fait vivre avec une belle énergie. Grand spécialiste de la musique du Cantor de Leipzig, Robin Tritschler possède une fragilité maîtrisée et sans doute recherchée qui ajoute à l’impression dans le Benedictus où une flûte diaphane de toute beauté nous laisse suspendus dans les airs. Dans les parties de basse, Christian Immler impose son instrument avec parfois un léger relâchement dans la tenue qui ne gâche en rien le plaisir de l’entendre dans Et in Spiritum Sanctum impérial.
Une véritable offense faite à Bach
Même si les solistes ont tour à tour réservé de très beaux moments de musique, ils n’ont été que les accompagnateurs de grand luxe d’un orchestre et d’un chœur en état d’apesanteur. Dès le Kyrie eleison d’ouverture, somptueux, les mélomanes sont soulevés du sol pour ne jamais plus atterrir, au moins jusqu’à la toute dernière note. Raphaël Pichon se montre d’une élégance absolue au service de la musique de Bach qu’il déroule comme un ruban de soie et de velours. L’esthétique hédoniste du beau son vient toujours en appui d’un texte souvent exalté. L’approche du second Kyrie eleison, page sublime, étonne tout d’abord par un léger manque de profondeur mais le magicien Pichon reprend la phrase avec un accent plus grave, exactement là où il souhaite nous emmener, vers une émotion croissante. Chœur et orchestre en parfaite homogénéité forment un tout soudé aussi à l’aise dans l’extraversion du Gloria avec des cuivres particulièrement justes ou dans le Cum sancto spiritu agile, énergique et jouissif dans une rapidité assez inhabituelle. Les vents qui scandent la partition sont également remarquables dans un Gratias agimus tibi d’anthologie. La trompette arrive piano comme sur la pointe des pieds pour laisser les percussions et les chœurs au premier plan pour ensuite rejoindre l’ensemble dans une polyphonie d’une force assez inouïe. D’autre très grands moments de musique ponctuent cette interprétation époustouflante comme l’Et incarnatus est est d’une sombre clarté ou le Crucifixus dramatique à souhait avec des attaques à la fois franches et douces. Le chœur y a sans doute atteint la perfection avec un pianissimo proche du sublime. Pygmalion et Raphaël Pichon finissent sur les cimes avec un Dona nobis pacem intense, puissant qui donne le frisson et élève les âmes jusqu’à la note finale, hélas gâchée ! Alors que les mélomanes auraient pu rester un quart de seconde de plus dans ce temps suspendu de la note bleue, ultime extase, un indélicat tousseur trop audible est venu briser le moment définitivement évanoui dans les applaudissements intervenus bien trop tôt. A ce tel degré d’intensité rarement ressentie au concert, c’est un péché, un crime, une offense… bref, un acte impardonnable !