Le retour brillant de Boris Godounov au Théâtre des Champs-Elysées
Le mélomane parisien qui connaît bien la vie lyrique de sa capitale sait que le Théâtre des Champs-Elysées et Boris Godounov, c’est une histoire qui dure. Il se souvient également du ticket gagnant Olivier Py/TCE. La folie de Boris sera-t-elle contagieuse ? Explications…
Les mélomanes du monde entier comme les familiers du Théâtre des Champs-Elysées ont tous en mémoire la fameuse année 1913. La saison inaugurale de la nouvelle salle de spectacle parisienne a été marquée à tout jamais par le scandale retentissant du Sacre du Printemps. Le ballet de Stravinsky a éclipsé dans le souvenir le reste de la saison russe, pourtant très riche, proposée par Sergei Diaghilev (Serge de Diaghilew comme on peut encore le lire dans les archives du Théâtre). Après avoir navigué d’une scène à l’autre, le grand impresario posait ses valises avenue Montaigne avec, dans ses cartons, de nouvelles représentations de Boris Godounov. L’histoire du chef-d’œuvre de Moussorgski, entendu pour la première fois à Paris en 1908 au Palais Garnier avec Fédor Chaliapine, s’écrit également au Théâtre des Champs-Elysées qui a accueilli les représentations de la troupe du Kirov sous la baguette du jeune Valery Gergiev, en 1997. Autre temps, autres mœurs, le mercredi 28 févier 2024, une nouvelle production signée Olivier Py est venue éblouir les spectateurs réconciliés avec l’opéra russe.
Olivier Py en version originale
La création de Boris Godounov à Saint-Pétersbourg s’est faite après de nombreuses coupes, d’aménagements et de réécritures. Les musicologues s’accordent à reconnaître deux versions de l’opéra, la première crée en 1869 et une seconde en quatre actes avec des scènes supplémentaires dont les tableaux dits « polonais » où apparait le personnage de Marina. Depuis les années 90, la version longue a tendance à disparaître au profit de l’originale en sept scènes réhabilitée par Gergiev avec une intrigue plus resserrée autour de la personnalité de Boris, comme celle présentée au Théâtre des Champs-Elysées et à l’Opéra National du Capitole, coproducteur. Olivier Py est un homme de théâtre qui se soucie toujours du livret qu’il fouille en profondeur pour en extraire des idées fortes. Avec la complicité fusionnelle du scénographe Pierre-André Weitz, les tableaux toujours très lisibles s’enchaînent avec éclat dans une optique parfois trop illustrative. Les scènes bavardes (comme le long monologue de Pimen) sont rendues vivantes pour tenir le spectateur toujours attentif quitte à légèrement surligner. Avec intelligence, le metteur en scène garde un œil sur l’intrigue de Moussorgski en faisant figurer le personnage de Marina pourtant privée de ses scènes. Il se permet une allusion au nouveau tyran de la fédération de Russie qui apparaît sur une toile peinte saluant Staline mais la charge politique reste légère. Certains marqueurs récents de l’univers de Py font sensation comme cet Iconostase impressionnant où est niché le sonore et superbe chœur de l’Opéra National du Capitole en costume rutilant.
Le nouveau tsar des Champs-Elysées
La direction d’Andris Poga à la tête de l’Orchestre National de France est également clinquante avec même certaines lourdeurs qui font leur effet par contraste. Les scènes clés (couronnement ou folie de Boris) sont appuyées sans pour autant trop désavantager les moments plus intimistes. L’on rentre dans le spectacle également par la grande porte du chant car l’ensemble de la distribution, plutôt homogène, réserve de bonnes surprises. Boris Godounov est un opéra souvent difficile à monter car il requiert de nombreux solistes russophones. Les mélomanes qui étaient nombreux à attendre le baryton allemand Matthias Goerne dans le rôle de Boris Godounov n’ont pas été déçus avec son remplaçant Alexander Roslavets, une révélation. Il possède l’exacte voix de baryton-basse pour servir la partition exigeante dans une langue idoine, ce qui ne sera pas toujours le cas de ses collègues. La basse Roberto Scandiuzzi incarne Pimen avec aisance même si la voix sonne désormais fatiguée. A 65 ans, le grand artiste ne peut rivaliser avec la belle jeunesse de Mikhail Timoshenko, Andreï convainquant de bout en bout, ou le sonore Sulkhan Jaiani que l’on remarque dans le rôle secondaire de Nikititch. Côté ténors, Airam Hernández est le faux Dmitri à la conquête du pouvoir avec une présence scénique et vocale certaine, contrairement à Marius Brenciu (Le Prince Chouïski) moins en voix ce soir de première. Il convient de citer également la basse Yuri Kissin, impayable dans le rôle du moine ivrogne Varlaam, ou encore l’énigmatique et émouvant Innocent incarné avec candeur par Kristofer Lundin. Même si le personnage central de Marina est absent dans cette version, les rôles féminins existent scéniquement car ils sont bien défendus. Sarah Laulan est une aubergiste à l’opulence typique de l’univers de Py. Dans le court rôle de Xenia, Lila Dufy arrive à donner du corps à son personnage face à Fiodor, l’autre enfant de Boris. Victoire Bunel confirme tout le bien que l’on pense d’elle avec une belle aisance dans un rôle de jeune garçon (où son mezzo excelle) qui pourrait facilement passer au second plan. Grâce à la mise en scène audacieuse et une distribution brillante, le Théâtre des Champs-Elysées entretient la lignée des Tsars avec ce nouveau couronnement de Boris Godounov.