Le Benjamin mature du Festival d'Aix-en-Provence 2023
Le prestigieux Festival d’Aix-en-Provence attire des mélomanes du monde entier également friands de créations contemporaines. Après le succès de Written on Skin, le compositeur et chef d’orchestre George Benjamin revient à Aix présenter son quatrième opéra. Compte-rendu…
L’importance d’un festival se juge également par sa capacité à passer commande de nouvelles œuvres. Le Festival International d'Art Lyrique d'Aix-en-Provence a noué un lien très fort avec les compositeurs contemporains comme Kaija Saariaho, Philip Boesmans ou Peter Eötvös mais George Benjamin tient une place à part dans le cœur des festivaliers et des programmateurs. Le compositeur et chef d'orchestre britannique a remporté son plus grand succès international en 2012 avec la création de l’opéra Written on Skin. Une saison anniversaire, comme celle des 75 ans, ne pouvait faire l’impasse sur cette figure majeure du XIXème siècle. Le Théâtre du Jeu de Paume a accueilli la première mondiale de Picture a day like this, le 5 juillet 2023. Même si l’œuvre est d’une moindre envergure, à la troisième représentation du 10 juillet, l’émotion était toujours très vive.
Benjamin ou les mémoires d’un… jeune compositeur lyrique
Passer après une création inoubliable expose forcément à une attente considérable surtout s’agissant d’un compositeur respecté et fort apprécié des festivaliers. George Benjamin et Aix-en-Provence, c’est une histoire d’amour qui dure et pourtant, son aventure lyrique est assez récente. Comme souvent dans l’histoire de la musique, il aura fallu la rencontre décisive avec un librettiste pour que le compositeur, né en 1960, se lance dans l’écriture d’un opéra. Into the Little Hill (créé à Paris en 2006) précèdera l’immense succès de Written on Skin avant Lessons in Love and Violence (inspiré de la vie d’Edward II d’Angleterre) et Picture a day like this, tous de la plume de Martin Crimp. L’écriture inspirée du dramaturge est à la fois poétique et suffisamment structurée pour raconter des histoires poignantes. Dans ce nouvel opus, Picture a day like this (Imagine un jour comme celui-ci), une femme endeuillée et inconsolable part à la recherche d’un bouton. « Trouve une personne heureuse en ce monde et prends un bouton de la manche de son vêtement. Fais-le avant la nuit et ton enfant vivra » est la phrase qui pousse l’héroïne sur le chemin d’un deuil impossible.
Portrait de Marianne Crebassa en Stabat Mater
La mise en scène de Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma s’inscrit dans un très beau décor dépouillé où de grandes parois glacées reflètent la solitude de Marianne Crebassa qui incarne cette « Woman ». La mezzo émeut aux larmes dans un premier monologue brut qui plonge le spectateur dans une réelle compassion. Une première rencontre avec un couple d’amoureux permet l’entrée en scène des sexy Beate Mordal et Cameron Shahbazi sur un plateau lumineux. Dans le tableau suivant, les mêmes chanteurs incarnent cette fois une compositrice débordée et son assistant (une bonne idée de mise en scène la place en perpétuel mouvement sur un tapis roulant). L’univers du compositeur possédant une force expressive unique, à la tête du Mahler Chamber Orchestra qu’il dirige, il trouve l’ensemble parfait qui répond à ses exigences avec l’engagement de tous les pupitres. L’écriture vocale de Benjamin qui rappelle sensiblement Britten, est fluide. L’usage de la technique mixte permet au personnage du tableau suivant (un bouleversant artisan) d’exprimer son déséquilibre. John Brancy, remarquable, incarne également un collectionneur avec une partition souple complètement différente. La distribution parfaitement choisie se fond sans heurt dans la musique de Benjamin qui respecte la prosodie et laisse les mots de Martin Crimp émouvoir le spectateur. Une dernière rencontre apporte une résolution inattendue et doucement mystérieuse. De son jardin poétiquement illustré par les vidéos aqueuses de Hicham Berrada, Zabelle (Anna Prohaska) donne la clé symbolique qui ouvre sur une réflexion philosophique sur la vie, la mort, le bonheur... La durée réduite (1h15) est peut-être le seul défaut de cet opéra, nouvelle réussite d’un compositeur majeur. Picture a day like this est une co-commande et une coproduction de plusieurs théâtres (Londres, Strasbourg, Paris, Luxembourg, Cologne, Naples). Comme Written on Skin (sans doute son plus grand chef-d’œuvre), il sera programmé à l’Opéra-Comique où il ne faudra pas louper la reprise !