En plein carnaval, Lucia di Lammermoor enflamme l’Opéra de Nice !
Le drame de Lucia di Lammermoor, rendue folle par amour, a inspiré un chef-d’œuvre à Donizetti que l’on peut voir en ce moment sur les grandes scènes françaises comme à l’Opéra de Nice où Kathryn Lewek a enflammé les mélomanes. Compte-rendu…
Certains mélomanes préfèreront toujours le drame aux réjouissances. En plein carnaval de Nice, l’on se divertit d’une autre façon à deux pas de la place Masséna en fête car sur la scène de l’Opéra avec Lucia di Lammermoor, chef-d’œuvre du bel canto, la folie prend un tout autre sens. En programmant cette œuvre particulièrement exigeante pour les artistes, Bertrand Rossi continue à insuffler un élan opportun à l’institution azuréenne qui, grâce à son travail, compte à nouveau dans le paysage lyrique français et international. Avec d’autres moyens que ceux des grandes boutiques parisiennes, il a réuni une affiche inédite. L’annonce du changement de distribution qui a accueilli les spectateurs de la première du vendredi 17 mars 2023 (Mario Cassi souffrant a été remplacé par Vladimir Stoyanov) n’a que peu entaché la représentation du dramma tragico de Donizetti.
Lucia di Lammermoor, seule contre tous !
Le baryton Vladimir Stoyanov possède suffisamment de métier pour incarner Enrico, le frère autoritaire qui contraint l’héroïne au mariage forcé. Même si la voix accuse son âge dans le premier air où quelques duretés accrochent l’oreille, il tient sa partie comme Philippe Kahn (Raimondo Bidebent). La basse est physiquement crédible dans le rôle du chapelain et confident de Lucia avec une voix qui impose un vécu certain. Lucia di Lammermoor est la parabole de l’enfermement d’une femme dans un univers masculin oppressant, jusqu’à la folie. Aux côtés des deux incarnations viriles du baryton (le plus terrible) et de la basse (plus paternelle), d’autres se font remarquer comme le jeune Gregoire Mour (Normanno) dans la mise en scène sombre de Stefano Vizioli. Créée à Pise, la coproduction affiche des décors noirs que n’aurait pas renié Pier Luigi Pizzi, les tombes accentuant l’impression de désolation et de claustration. Vizioli joue la sobriété en écartant le folklore écossais et même quelques traditions. La robe blanche de la mariée habituellement maculée du sang de l’époux étripaillé reste ici pure et sans tâche, offrant un contraste assumé avec le deuil présent partout. Enrico un peu trop proche de sa sœur crée un malaise diffus dans cette mise en scène pariant subtilement sur la psychologie. Sur scène, les chanteurs acteurs ont beau faire de leur mieux dans leur costume XIXème siècle, les spectateurs n’ont d’yeux que pour Lucia.
Les deux nouvelles étoiles de l’Opéra de Nice
Kathryn Lewek est une révélation dans le rôle même si sa prestation vocale ne s’inscrit pas tout à fait dans la pure tradition belcantiste ressuscitée par Maria Callas. La soprano américaine possède un instrument maîtrisé qui lui permet des pianos de toute beauté mais l’expressivité parfois trop vériste affirme un style plutôt personnel. Avec un petit vibrato serré et un timbre séduisant, la voix fait flotter les aigus et suraigus impressionnants grâce à une très large tessiture toujours homogène. La comédienne habite facilement la très attendue scène de la folie qui, à défaut de délivrer une leçon de chant, donne le frisson comme il se doit. A ses côtés, Oreste Cosimo dans le rôle d’Edgardo, l’amoureux abusé, développe un chant plus abrupt qui offre un contraste intéressant avec les innombrables nuances développées par sa partenaire. Solide dans le duo « Sulla tomba che rinserra », la voix du jeune ténor (artiste à suivre de près) s’épanouit facilement avec un suraigu en voix de tête pour surmonter les quelques difficultés dans une partition où elle reste toujours charmeuse. La direction élégante d’Andriy Yurkevitch trouve l’Orchestre Philharmonique de Nice à son meilleur. Il est heureux d’entendre la formation servir l’œuvre de Donizetti avec un certain raffinement, rejoint par le chœur de l’Opéra de Nice. Les artistes sont au même excellent niveau comme Karine Ohanyan, mezzo niçoise que l’on retrouve avec plaisir dans le court rôle d’Alisa défendu avec conviction. C’est à l’issue d’une représentation de Lucia di Lammermoor que l’Opéra de Nice s’est embrasé en 1826. Ce soir, les spectateurs se sont enflammés pour cette nouvelle Lucia et son Edgardo, nouvelles étoiles lyriques flamboyantes que l’on espère retrouver sur cette même scène, très prochainement.