Révolution à l’Opéra Comique occupé par la Fille de Madame Angot
Grand titre de l’opérette française, La Fille de Madame Angot évoque la légèreté, les sourires et l’amusement. Plongée en pleine révolution à l’Opéra Comique, la voici perdue dans une époque en plein changement. Les mélomanes la retrouveront-ils ? Réponse…
Dans son cahier des charges bien conçu, le Théâtre national de l'Opéra Comique doit chaque saison mettre en valeur « la diversité des expressions, de l'opéra baroque à la création contemporaine, et du répertoire historique de l’Opéra-Comique, marqué par la place de l'opéra français » comme le rappelle le site du Ministère de la Culture. C’est donc toujours avec un vif intérêt que les mélomanes se rendent nombreux Salle Favart pour découvrir ou redécouvrir un pan du répertoire surtout que les réussites se suivent à bon rythme. En programmant La Fille de madame Angot, l’Opéra Comique renoue avec le versant léger d’un genre qui continue à faire les beaux soirs de la salle. La musique entraînante de Charles Lecocq a bien retenti ce mercredi 27 septembre, soir de première, mais sans autant d’enthousiasme qu’à l’habitude.
Un Incroyable en pleine révolution soixante-huitarde
Comme souvent au Comique, les titres parlent à tout le monde mais rares sont ceux qui ont eu la chance de voir des productions. Et parce que ces connaisseurs en parlent avec gourmandise, une nouvelle génération attend avec impatience la mise en scène qui leur permettra de goûter aux charmes surannés de ces opérettes bien connues. Richard Brunel, homme de théâtre et actuel directeur de l’Opéra de Lyon, a choisi une actualisation effaçant le contexte historique dans lequel l’action est supposée se dérouler. Le brouhaha du Directoire avec les Incroyables et les Merveilleuses s’élève maintenant en pleine révolution de Mai 68 avec de nombreuses pancartes qui en reprennent les slogans. L’héroïne Clairette n’est plus la fille d’une marchande de poisson des Halles mais d’une ouvrière des usines Renault, bientôt en grève. Après un premier acte qui marche plutôt bien, le spectacle emprunte plusieurs voies qui brouillent la compréhension. Ange Pitou, le deuxième prétendant de la jeune femme, personnage qui a réellement existé (c’était un journaliste et chanteur de rue de conviction royaliste) est affublé d’un costume XVIIIe tandis que la rivale Mademoiselle Lange (autre personnage historique) évolue dans un cinéma où elle entonne un duo façon Demoiselles de Rochefort dans une robe criarde assez vilaine. Les scènes cocasses n’occasionnent que peu de sourires, le spectateur restant trop souvent concentré sur le déroulé de l’histoire pour essayer de la comprendre.
Une Merveilleuse s’encanaille en empruntant une autre voix
Est-ce parce que les forces du Palazzetto Bru Zane sont également à la manœuvre ? L’entreprise semble souffrir d’un trop de sérieux. Grâce aux recherches minutieuses de la célèbre institution franco-italienne (coproductrice avec les Opéras de Lyon, Nice et Avignon) et qui effectue un travail exemplaire sur les partitions du XIXe siècle, la musique de Lecoq a été précédemment exhumée pour un enregistrement avant de connaître sa renaissance scénique. Plombés par une mise en scène qui se cherche, le plateau d’artistes paraît un tantinet trop haut de gamme vocalement pour faire croire aux personnages. Les seconds rôles à l’inverse (pourtant toujours impeccablement distribués à l’Opéra Comique) sont bien ternes, à l’exception d’Antoine Foulon (Louchard). Heureusement très en verve, Hervé Niquet retrouve l’Orchestre de chambre de Paris pour amener la gaité attendue mais pas que ! Les deux extraits de la Suite en forme de Valse composée par Mel Bonis ajoutés en guise d’entractes apportent une touche de très belle musique, le régal de la soirée. Aussi déchaînée sur scène que son chef, Véronique Gens, présente dans le CD, reprend la partie de Mademoiselle Lange qui ne convient pas tout à fait à une tessiture plutôt mezzo. Alors qu’elle remporte toujours un vif succès ailleurs, son personnage manque ici d’éclat et le duo qu’elle forme avec Hélène Guilmette, de contraste. Dans le rôle de l’héroïne Clairette, la soprano trouve parfois le ton juste avec les moyens qui conviennent. Un brin de folie supplémentaire arrivera sans doute dans les prochaines représentations. Peut-on se plaindre que le marié est trop beau ou est-ce parce que son costume le distingue trop de ses comparses ? Julien Behr paraîtrait presque hors de propos dans cette production où le jeu scénique et la voix semblent appartenir à un autre univers. Osant le bouffe à plein et décrochant enfin les sourires, Matthieu Lécroart (Larivaudière) et surtout Pierre Derhet (Pomponnet) sont parfaitement à leur place avec une diction des plus remarquables. Des éloges sont aussi à adresser au chœur du Concert Spirituel, très à l’aise dans ce répertoire que de nombreux spectateurs aiment et qu’il convient de défendre. Pour découvrir l’œuvre, il faut voir cette production même à moitié convaincante, la musique le mérite !