Un Peter Grimes d’exception au Palais Garnier
Parmi les grands du théâtre, Deborah Warner est un nom qui compte. Après de nombreuses réussites, la metteuse en scène vient enfin à Paris pour une production de Peter Grimes de Britten précédée de forts bons échos. Le mélomane doit-il s’y fier ? Réponse…
Les échos de la presse et du public madrilène étaient déjà très favorables avant que ne débarque ce nouveau Peter Grimes sur la scène du Palais Garnier. Le raz-de-marée brittenien a emporté les spectateurs parisiens qui, submergés par l’émotion, ont acclamé la mise en scène de Deborah Warner lors de la première du jeudi 26 janvier 2023. Créée à Madrid en avril 2021, la coproduction a accosté les rives du Covent Garden de Londres en mars 2022 avant de venir à l’Opéra national de Paris. Elle larguera les amarres la saison prochaine au Teatro dell’Opera de Rome pour la dernière série de représentations.
Une action théâtrale d’une force émotionnelle inoubliable
Peter Grimes a toujours été bien servi à Paris qui se souvient de Jon Vickers dans le rôle-titre en 1981, de la production de Graham Vick taillée pour le vaisseau Bastille et de celle, plus esthétique, de Mathias Fischer-Dieskau au Châtelet. Le drame portant sur un personnage rugueux de marin sur qui pèse des soupçons de meurtre, est d’une rare puissance avec une tension exacerbée par la musique de Britten. La difficulté pour un metteur en scène reste la cohabitation des scènes intimes avec les grands mouvements de foule (jusqu’au lynchage), les chœurs occupant une bonne partie de la partition. Deborah Warner choisi l’évocation naturaliste avec un décor stylisé signé Michael Levine où les éléments que l’on pourrait trouver à Dieppe ou dans un port du Suffolk participent au réalisme. Illustré à la perfection, le texte sonne d’autant plus fort qu’il est servi par des chanteurs/acteurs de premier plan, admirablement distribués. Les scènes de foule réglées comme une chorégraphie sont impressionnantes jusqu’à la suffocation mais la metteuse en scène de génie n’oublie pas l’onirisme. La scène de procès qui ouvre habituellement l’opéra est transposée en un rêve. Peter Grimes revivra inlassablement son cauchemar poétiquement symbolisé par un homme en chute libre. D’autres images fortes resteront comme celle, quasi insoutenable, qui accompagne le cinquième prélude où il est difficile de retenir ses larmes.
Allan Clayton, le grand Peter Grimes de sa génération
Au Palais Garnier, la metteuse en scène récupère sensiblement la même distribution qu’à Madrid avec toutefois une exclusivité pour Paris qui retrouve Simon Keenlyside dans le rôle du Captain Balstrode. Le baryton qui a connu bien des succès en France fait un retour remarqué en réservant sa prise de rôle à l’Opéra national de Paris. Peter Grimes offre de nombreux seconds rôles où chacun trouve sa partition comme Jacques Imbrailo, bouleversant Billy Budd au Teatro Real de Madrid en 2017 et aujourd’hui, Ned Keene plus vrai que nature. Le Swallow sonore de Clive Bayley est à citer comme le Bob Boles de John Graham-Hall ou les remarquables Catherine Wyn-Rogers et Rosie Aldridge (Auntie et Mrs. Sedley). Vocalement reconnaissable, chacun habite son rôle à la perfection. Même si l’on peut regretter des graves peu audibles et une projection hétérogène, Maria Bengtsson campe une Ellen Orford à la fois belle et touchante qui donne le change à l’exceptionnel Allan Clayton. Le ténor habite le rôle redoutable de Peter Grimes avec un physique qui renforce le trouble. La véritable incarnation est magnifiée par la prestation vocale, évidente, souveraine qui en fait le grand Peter Grimes de sa génération. A la tête d’un Orchestre de l’Opéra national de Paris des très grands soirs, Alexander Soddy est une belle découverte. Le jeune chef qui débute à Garnier signe un sans-faute en osant le grand symphonique dans les préludes magnifiquement maîtrisés. Il convient d’associer à la réussite musicale la cheffe des Chœurs Ching-Lien Wu. Après un Billy Budd d’exception vu à Madrid (et qui était annoncé à Paris), le Peter Grimes actuellement à l’affiche de l’Opéra national de Paris est une nouvelle grande réussite de Deborah Warner à voir absolument !